Le ministre des Finances Jim Flaherty devra faire face en 2011 au même défi que l'un de ses prédécesseurs, Paul Martin, en 1995: préparer un budget qui ouvrira la voie à un retour à l'équilibre budgétaire à brève échéance.

L'enjeu est de taille pour la bonne santé financière du gouvernement fédéral. Car si Jim Flaherty rate sa cible, d'aucuns s'attendent à ce que l'encre rouge qui coulera à hauteur de 45 milliards de dollars en 2010-2011 se répande durant quelques années de plus. L'objectif du ministre Flaherty est de venir à bout du déficit d'ici à 2015.

En privé, des stratèges conservateurs estiment que le prochain budget est aussi important que l'a été celui de 1995 pour sortir Ottawa de l'ornière des déficits. «Il est vrai que le prochain budget est aussi important que celui de 1995», a confié à La Presse un stratège conservateur qui a requis l'anonymat.

En 1995, Paul Martin a remporté son pari en déposant un budget qui comportait d'importantes compressions dans les dépenses de l'État, en particulier dans la défense nationale et dans les paiements de transferts aux provinces. Une cure minceur a aussi été imposée à la fonction publique: 55 000 postes ont été éliminés. Trois ans plus tard, le gouvernement fédéral a mis fin à des décennies de déficits et est entré dans une longue période de surplus budgétaires.

Ce budget a soulevé les hauts cris des provinces et des syndicats. Mais Paul Martin n'a pas bronché. Le plan de l'ex-ministre libéral des Finances était toutefois favorisé par une solide reprise économique mondiale. Les revenus de l'État étaient donc au rendez-vous, notamment grâce à une TPS de 7%, véritable vache à lait pour le gouvernement, et la création de nouveaux emplois.

Enfin, les États-Unis, principal partenaire commercial du Canada, connaissaient aussi une forte croissance économique. Le gouvernement américain accumulait les surplus budgétaires année après année.

De 1997 à 2008, le gouvernement fédéral a ainsi pu rembourser 105 milliards de dollars de la dette accumulée. Cet effort a été salutaire, selon la majorité des économistes, car le Canada a pu affronter la crise économique de 2008 en disposant d'une marge de manoeuvre financière supérieure à celle de tout autre pays industrialisé.

Ottawa prévoit maintenant ajouter 170 milliards de dollars à la dette d'ici à 2015 en enregistrant des déficits successifs de 2008 à 2015. À cette date, la dette accumulée atteindra 626 milliards de dollars.

Depuis que les déficits sont de retour à Ottawa, le ministre des Finances jure qu'il se débarrassera de ce boulet financier sans augmenter les taxes et les impôts et sans réduire les transferts aux provinces pour la santé et l'éducation. M. Flaherty a d'ailleurs réitéré cette promesse lorsqu'il a rencontré ses homologues provinciaux à Kananaskis, en Alberta, la semaine dernière.

M. Flaherty entend donc emprunter une recette fort différente de celle de Paul Martin. Il écarte l'idée d'imposer des compressions douloureuses ou de mettre à pied des milliers de fonctionnaires. Il compte essentiellement sur un contrôle serré des dépenses du gouvernement. Il table aussi sur une croissance de l'économie canadienne pour augmenter les revenus de l'État. Enfin, la fin du plan de relance économique de 48 milliards de dollars en deux ans en mars 2011 devrait permettre de réduire de manière importante le déficit en 2012-2013.

«Le prochain budget sera très important. Il doit confirmer notre plan qui nous permettra de rétablir l'équilibre budgétaire. Il faut être ferme à cet égard. Nous devons démontrer que nous sommes capables de suivre le plan que nous nous sommes donné. Mais nous n'allons pas prendre la voie la plus facile en sabrant les transferts aux provinces», a déclaré le ministre Flaherty dans une entrevue accordée à La Presse la semaine dernière.

«Nous sommes sur la bonne voie. Mais il faut faire preuve de discipline et de fermeté en mettant notre plan en oeuvre», a-t-il ajouté.

Chose certaine, le pari du ministre Flaherty est audacieux. Non seulement emprunte-t-il une recette différente de celle de Paul Martin, il doit aussi composer avec un contexte fort différent de celui de 1995. D'abord, l'économie mondiale demeure fragile. Les États-Unis, où le taux de chômage frise encore les 10%, peinent à se relever de la récession. Pis encore, le gouvernement américain continue d'enregistrer des déficits records qui devront être résorbés tôt ou tard par des mesures d'austérité.

Ensuite, les conservateurs sont minoritaires à la Chambre des communes et ils pourraient être défaits au moment du vote de confiance sur le budget. Les libéraux, eux, détenaient une confortable majorité aux Communes en 1995. Enfin, les revenus de l'État seront réduits d'au moins 5 milliards de dollars annuellement avec l'entrée en vigueur de la réduction du taux d'imposition des entreprises en janvier 2011 et janvier 2012.

Certaines personnes doutent que le plan du ministre fonctionnera. Le directeur parlementaire du budget, Kevin Page, fait partie du lot. S'il échoue, Jim Flaherty risque de regretter un jour sa décision de réduire la TPS de 7% à 5%, cette taxe tant détestée par les contribuables mais qui permet de garnir facilement les coffres de l'État.

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Le déficit en chiffres

2009-2010: 55,6 milliards

2010-2011: 45,4 milliards

2011-2012: 29,8 milliards

2012-2013: 21,2 milliards

2013-2014: 11,5 milliards

2014-2015: 1,7 milliard