Le gouvernement fédéral confirme avoir reçu une liste de plus de 1000 noms de Canadiens titulaires de comptes bancaires en Suisse. Le premier ministre Stephen Harper a promis hier de faire enquête et d'être sans merci contre ceux qui auront fraudé. Le processus pourrait être long, mettent en garde des spécialistes. Mais déjà, le Bloc québécois et le NPD s'impatientent.

Hervé Falciani est un ancien directeur de la sécurité informatique à la Banque privée HSBC, à Genève. En entrevue à CBC et au Globe and Mail, diffusée hier, il a raconté comment il s'était emparé d'une liste de plus de 80 000 noms de clients de cette institution bancaire, pour la remettre ensuite aux autorités françaises.

La liste, a-t-il révélé, comprend 1785 noms de Canadiens. Un demi-million de dollars est nécessaire pour ouvrir un compte à la HSBC Private Bank.

«Le gouvernement doit punir ces bandits à cravate qui lui font perdre des millions de dollars!» s'est indigné le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, à la Chambre des communes, hier.

«Le gouvernement ne fait rien pour enrayer le fléau d'évasion fiscale, s'est quant à lui plaint le leader néo-démocrate Jack Layton. Où est leur agenda de la loi et de l'ordre pour les grandes banques et pour ceux qui évitent les impôts?»

Les deux chefs ont pressé Ottawa de tourner les yeux vers d'autres paradis fiscaux, dont la Barbade, les Bermudes et les îles Caïmans.

Le premier ministre Stephen Harper a répondu qu'il était hors de question de tolérer la fraude fiscale. «Si des Canadiens utilisent des comptes en Suisse pour éviter des taxes et des impôts canadiens, ces citoyens vont faire face à toute la force de la loi canadienne», a-t-il martelé.

Dans un communiqué de presse diffusé en fin de journée, l'Agence du Revenu du Canada (ARC) a confirmé avoir obtenu «récemment» des renseignements sur ces titulaires de compte. Elle a indiqué qu'elle était en train de procéder à une «analyse minutieuse» des mieux dotés, pour vérifier si leurs titulaires déclaraient «l'ensemble de leurs revenus aux fins d'impôt».

«L'ARC examinera tous les comptes liés aux contribuables canadiens», a enfin promis l'Agence.

Long processus

Mais l'enquête pourrait s'avérer longue et ardue, estiment deux experts consultés par La Presse.

«Ce n'est pas quelque chose qui va se faire demain matin. C'est extrêmement compliqué. Surtout que les entreprises ou les personnes qui font cela, et qui ont beaucoup, beaucoup de ressources, elles exploitent les trous dans la loi», a analysé Pierre P. Tremblay, professeur de sciences politiques à l'UQAM.

«Quand on parle d'évasion fiscale, on n'est pas nécessairement dans une situation de fraude. On est souvent à la limite de la légalité», a rappelé ce spécialiste des finances publiques.

Selon Vern Krishna, professeur à l'Université d'Ottawa et avocat spécialisé en droit fiscal, le Canada ne s'en tire pas si mal, dans le contexte d'une intensification des efforts pour lutter contre l'évasion fiscale depuis environ cinq ans.

«Le Canada a signé plusieurs traités - environ 11 ou 12 - avec des paradis fiscaux, concernant l'échange d'informations, a-t-il noté. Il n'est pas le chef de file ni le retardataire au niveau mondial... Mais il fait ce qu'il peut, compte tenu de sa taille et des ressources disponibles.»

L'an dernier, l'Agence du revenu du Canada affirme avoir découvert «plus d'un milliard de dollars en impôt fédéral impayé de contribuables canadiens, qui cachaient des biens et des comptes à l'étranger ou au moyen d'autres opérations internationales».