Le ministre fédéral des Finances dépose un projet de loi visant la création d'une commission canadienne de valeurs mobilières.

La récente mobilisation de Québec inc. contre l'idée de créer une commission canadienne de réglementation des valeurs mobilières n'a pas fait fléchir le gouvernement Harper.

Le ministre des Finances, Jim Flaherty, a confirmé hier qu'Ottawa accélère le pas afin de mettre sur pied ce nouvel organisme national - l'Autorité canadienne de réglementation des valeurs mobilières - en dépit de la vive opposition du gouvernement Charest, des gens d'affaires et des grandes entreprises du Québec, et même de l'Alberta (voir autres textes en page 6).

M. Flaherty a déposé un projet de loi en ce sens à la Chambre des communes, estimant que l'heure est venue de mettre de l'ordre dans le système de réglementation au pays, comme le recommandent fortement des organisations internationales telles que le Fonds monétaire international et l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE).

Mais avant d'adopter ce projet de loi, le gouvernement Harper demandera à la Cour suprême du Canada de statuer si Ottawa a le pouvoir constitutionnel de légiférer dans ce domaine, certaines provinces, au premier rang le Québec, affirmant que ce secteur relève uniquement de leur compétence.

Le ministre de la Justice, Rob Nicholson, pilotera ce dossier devant le plus haut tribunal du pays, une démarche qui pourrait prendre de 10 à 24 mois avant d'obtenir l'avis des juges.

Le gouvernement Harper a réussi à convaincre sept provinces et trois territoires d'appuyer cette initiative. Trois provinces - le Québec, l'Alberta et le Manitoba - s'y opposent toujours.

«Aujourd'hui, nous avons 13 commissions, 13 sortes de règles, 13 sortes de frais. Nous devons réduire les barrières et non pas les multiplier», a affirmé hier le ministre Flaherty en conférence de presse. «Le Canada demeure le seul pays développé à ne pas avoir une commission nationale. (...) Les Canadiens sont mal servis par de régime balkanisé.»

Tentant de calmer la grogne au Québec, le ministre a répété que les provinces demeurent libres d'adhérer ou non à la nouvelle commission. Il a aussi affirmé que des bureaux locaux importants seront maintenus dans les provinces et que tous les employés actuels se verront offrir un emploi au sein du nouvel organisme.

Cela dit, les entreprises d'une province qui opterait de ne pas participer à cette aventure ne pourront pas s'inscrire auprès de l'Autorité canadienne de réglementation des valeurs mobilières. Le système de passeport, qui existait entre les diverses commissions provinciales pour assurer la libre circulation, prendra donc fin avec la création du nouvel organisme, qui prendra la forme d'une nouvelle société d'État financée à même les droits versés par les participants du marché.

Freiner les bandits à cravate

Le ministre a affirmé que l'Autorité canadienne jouira de pouvoirs accrus afin de mieux contrer les stratagèmes de criminels à cravate comme Earl Jones et Vincent Lacroix. Ainsi, les enquêteurs de l'Autorité canadienne seront en mesure d'obtenir une ordonnance des tribunaux pour obliger les sociétés cotées en Bourse à répondre par écrit à des questions sur certains aspects des inconduites présumées. Ils pourront aussi recourir aux tribunaux pour forcer une société à produire une liste de noms d'individus qui ont acheté ou effectué des opérations sur une valeur mobilière pendant une période donnée.

Le projet de loi prévoit d'ailleurs retirer du Code criminel certains crimes économiques comme les délits d'initiés, les fraudes liées aux valeurs mobilières et les abus de confiance. Ces crimes seront jugés en vertu de la nouvelle loi, également dans les provinces n'ayant pas adhéré à la commission pancanadienne. Ce changement permettra d'être plus dur envers les fraudeurs.

M. Flaherty a insisté pour dire que le nouvel organisme sera «décentralisé» de manière à respecter les spécificités économiques des différentes régions du pays. Il a indiqué n'avoir pas encore choisi du lieu du futur bureau national. Le premier ministre Stephen Harper a pour sa part affirmé que le choix de Toronto était loin d'être acquis. «Évidemment, en tant qu'Albertain, je n'ai pas d'intérêt à voir ce secteur centralisé à Toronto», a dit le premier ministre durant la période de questions.

Présent à la conférence de presse, le ministre d'État responsable de l'Agence de développement économique du Canada pour les régions du Québec, Denis Lebel, a affirmé que le Québec peut y trouver son compte dans la proposition fédérale .»Ce n'est pas une question d'une province versus un pays. (...) J'espère que l'expertise québécoise sera mise à profit, que le Québec décidera de se joindre au processus en cours», a-t-il déclaré.

Le chef du Parti libéral, Michael Ignatieff, a affirmé qu'il appuie en principe la démarche du gouvernement Harper. Mais le tout doit se faire dans le respect des compétences des provinces. «Il faut être absolument sûr qu'une solution pancanadienne n'endommage pas les marchés régionaux. Il y a des compétences à Montréal, il y a des compétences à Calgary, à Vancouver, qu'il ne faut pas détruire, auxquelles il ne faut pas nuire», a-t-il dit.

Le Bloc québécois, qui mène une bataille contre ce projet depuis des mois, s'est dit outré de la décision des conservateurs d'aller de l'avant. «Le gouvernement conservateur se sert des victimes d'Earl Jones pour tenter de faire passer son projet de commission pancanadienne des valeurs mobilières. Pourtant, une telle commission n'aurait rien changé pour les victimes d'Earl Jones. Le gouvernement le sait pertinemment», a affirmé M. Duceppe, ajoutant que le projet d'Ottawa risque de priver le Québec «d'un outil économique essentiel à son développement».

- Avec Malorie Beauchemin