Le gouvernement fédéral se targue de vouloir combattre l'évitement fiscal, mais son dernier budget contient une disposition qui ouvre grand la porte aux contribuables mal intentionnés.

La disposition concerne les profits tirés de la vente d'actions d'entreprises canadiennes. Désormais, les personnes qui ont recours à des paradis fiscaux pour contourner l'impôt sur ces profits passeront plus facilement sous le radar de Revenu Canada, nous disent trois fiscalistes. Voici comment.

D'abord, il faut savoir que les contribuables, ici comme ailleurs, paient leurs impôts selon leur lieu de résidence. Une entreprise du Royaume-Uni qui vend ses actions d'une entreprise canadienne doit payer au gouvernement anglais les impôts qu'elle obtient du profit de la vente. Même chose pour Bombardier qui vendrait une entreprise irlandaise: le principe veut que l'impôt sur le gain soit payé au Canada.

Pour appliquer ce principe, les gouvernements signent entre eux des conventions fiscales, afin d'éviter la double imposition. Dans la pratique, le fisc canadien se protège. Quand un non-résident vend une entreprise canadienne, le fisc canadien exige que l'acheteur retienne une partie du total de la vente, en vertu de l'article 116. Cette retenue temporaire, de 10 à 25%, est demandée comme police d'assurance.

Or, voilà où le dernier budget Flaherty change la donne. Cette mécanique de retenue embête royalement les gens d'affaires. Certes, la retenue est remboursée aux vendeurs non résidants après vérification, mais les délais et la paperasserie nuisent au Canada. Dans le budget, le gouvernement a donc aboli de telles retenues sur la vente d'actions canadiennes par des non-résidants pour la plupart des industries (sauf l'immobilier, le minier et le forestier).

Le problème vient du fait que la retenue est abolie non seulement pour les pays qui ont des conventions fiscales avec le Canada, mais aussi avec ceux qui n'en ont pas. Ces pays «non conventionnés» sont pour la plupart des paradis fiscaux, qu'on pense aux Bahamas, au Panama, aux îles Vierges britanniques, etc.

Autrement dit, une firme des Bahamas pourra vendre ses actions d'une entreprise canadienne sans se faire déranger par le fisc. Désormais, cette firme des Bahamas n'aura pas à prouver qu'elle n'est pas détenue par des Canadiens dont l'objectif est de contourner le paiement de l'impôt.

«L'article 116, c'était vraiment l'enfer dans la grande majorité des cas. Le gouvernement a raison lorsqu'il dit que ça freinait des financements étrangers, notamment dans les hautes technologies. Mais vous avez raison: l'inclusion des pays «non conventionnés» est une surprise», dit Éric Labelle, associé en fiscalité internationale chez Raymond Chabot Grant Thornton.

Un autre fiscaliste croit que cette inclusion des pays sans convention est «une porte ouverte aux contribuables mal intentionnés».

La famille Rémillard

La mesure est d'autant plus surprenante que Revenu Canada a des causes devant les tribunaux à ce sujet, même pour des cas avec des pays couverts par des conventions. Entre autres, la famille Rémillard - celle de la chaîne V - conteste l'application de l'article 116. La cause concerne la vente de RCI Environnement, qui leur a procuré un gain de 145 millions.

La famille Rémillard exige que l'acheteur Historia soit dispensé de la retenue habituelle, parce que le vendeur RCI Trust est situé dans un pays «conventionné» (la Barbade). Les Rémillard ont gagné en Cour fédérale, mais perdu en Cour d'appel. Ils contestent maintenant la décision en Cour suprême.

Les juges de la Cour d'appel stipulent que «l'article 116 est un mécanisme créé par la loi pour demander la retenue d'impôt à la source, de sorte que si des impôts sont payables, leur perception est facilitée».

Dans un tel cas, des impôts seraient payables s'il était démontré que l'opération des Rémillard est une manoeuvre d'évitement fiscal, contraire à la Règle générale anti-évitement.

Selon un des fiscalistes consultés, «il deviendra très, très difficile pour Revenu Canada d'attraper un contribuable de mauvaise foi sans la retenue de l'article 116», retenue remboursable qu'avec une démonstration que l'impôt n'est pas payable au Canada.

Le ministère des Finances n'a pas expliqué clairement à La Presse pourquoi il incluait les pays «non conventionnés». Le changement «accroîtra les possibilités pour les entreprises canadiennes d'attirer du capital de risque étranger provenant de pays couverts ou non par une convention, notamment pour les sociétés de haute technologie contribuant à la création d'emplois et à la croissance économique. Cette mesure rendra aussi les règles fiscales du Canada plus conformes à celles en vigueur chez nos principaux partenaires commerciaux».