Au cours des prochaines semaines, une douzaine de sociétés canadiennes vont consulter leurs actionnaires à propos du salaire de leurs patrons, un grand sujet de polémique.

Les banques canadiennes et plusieurs assureurs ont accepté de leur plein gré de soumettre la politique de rémunération de leurs hauts dirigeants au vote consultatif («say on pay») des actionnaires, en assemblée annuelle.

Mais ce nouveau scrutin ne fait pas l'unanimité. «Il n'est pas approprié ni opportun d'imposer une démarche de vote consultatif sur la rémunération à l'ensemble des entreprises canadiennes», tranche l'Institut sur la gouvernance d'organisations privées et publiques, dans un rapport de trente pages publié hier.

Cet avis tout à fait contraire à celui de la Coalition pour la bonne gouvernance, un regroupement de plus grands investisseurs institutionnels au Canada, avec des actifs totalisant 1000 milliards de dollars. La Coalition souhaite que le vote consultatif devienne pratique courante au Canada.

Les partisans du vote consultatif rappellent que les programmes de bonification à la performance ont incité les dirigeants d'entreprises à prendre trop de risque, ce qui a provoqué l'effondrement du système financier en 2008.

D'autres ajoutent que la rémunération des dirigeants est excessive. Durant les années 80, la rémunération des patrons des grandes sociétés américaines représentait 50 fois le salaire moyen des employés. Dans les années 2000, ce ratio a dépassé 400 fois.

Or, dans les pays où le vote consultatif existe déjà, comme au Royaume-Uni, en Suède et en Australie, le salaire des patrons a aussi connu une forte croissance, souligne l'Institut sur la gouvernance.

Par exemple, l'expérience britannique démontre que les actionnaires ne s'opposent pratiquement jamais: seulement 4% des votes ont été négatifs en 2008. Et les contestataires remportent plus de 20% des voix seulement dans 10% des cas, rapporte l'Institut.

Donc, non seulement le vote consultatif ne semble pas très utile, mais il pourrait même être néfaste. En approuvant la politique de rémunération, qui est extrêmement complexe, les actionnaires «font un chèque en blanc», estime Michel Nadeau, directeur général de l'Institut.

À son avis, il n'est pas souhaitable que les actionnaires interviennent directement dans les décisions de l'entreprise. «Pour certains grands investisseurs, le vote consultatif est un beau prétexte pour rencontrer la direction de l'entreprise, discuter, négocier... et peut-être obtenir des informations privilégiées», dit-il.

De plus, le vote consultatif court-circuite le conseil d'administration. «Si on ne peut pas se fier aux administrateurs en ce qui a trait à la rémunération de la haute direction, comment peut-on leur faire confiance pour d'autres décisions tout aussi importantes?» demande Yvan Allaire, président du conseil de l'Institut.

De toute façon, les actionnaires disposent déjà d'une autre arme «nucléaire» pour manifester leur mécontentement, indique l'Institut. Ils peuvent s'abstenir de voter pour réélection du membre du conseil qui est aussi président du comité de rémunération de l'entreprise.

Plus des trois quarts (74%) des grandes sociétés canadiennes ont maintenant une procédure de vote individuel pour l'élection de chacun des administrateurs (plutôt que pour l'ensemble des membres du conseil d'un seul coup), par rapport à 61% en 2008.

Pour renforcer la gouvernance, l'Institut propose que le président du comité de rémunération présente un rapport et réponde aux questions des actionnaires, lors de l'assemblée.

Quant au vote consultatif, il devrait être réservé aux cas problématiques.