À son insu, l'un des plus gros cabinets d'avocats d'affaires à Montréal, Ogilvy Renault, avait un chef d'équipe en informatique qui se serait adonné à un véritable «piratage d'informations» à l'interne pour boursicoter.

Et ce boursicotage illicite avec les actions de plusieurs entreprises canadiennes, la plupart clientes d'Ogilvy Renault, lui aurait rapporté plus d'un demi-million de dollars depuis trois ans.

 

Bref, à lire l'ordonnance d'interdit boursier et de gel de comptes émise contre Dominic Côté, informaticien de 44 ans résidant à Varennes, l'Autorité des marchés financiers (AMF) aurait dépisté l'un des plus gros cas de délit d'initié depuis des années au Québec.

«L'enquête se poursuit afin de constituer toute la preuve, qui pourrait mener à des accusations au pénal contre Dominic Côté», confirmait-on à l'AMF, hier.

Pourtant, les allégations de délits d'initié à répétition qui sont décrites dans l'ordonnance émise par le tribunal administratif en finances au Québec, le BDRVM, s'avèrent déjà particulièrement lourdes.

En fait, c'est la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO) qui a mis la puce à l'oreille de l'AMF en juin 2009.

La CVMO avait pisté des transactions boursières de M. Côté avec des actions de six entreprises établies en Ontario. Ces transactions avaient la particularité de survenir durant les quelques jours précédant et suivant des annonces importantes des entreprises cotées.

L'AMF a pris le relais de la surveillance de Dominic Côté, ce qui lui a permis de débusquer plusieurs transactions suspectes impliquant cette fois les actions d'entreprises établies au Québec.

Elle a pu remonter la trace jusqu'en avril 2006. Et dans presque tous les cas, il s'agissait d'actions d'entreprises qui avaient embauché l'employeur de Dominic Côté, la firme Ogilvy Renault, comme principale conseillère juridique lors de transactions importantes.

À ce jour, selon l'ordonnance du BDRVM, l'AMF a dénombré au moins 14 entreprises ayant été ciblées par les transactions illicites reprochées à M. Côté.

La plus récente en lice: la firme publicitaire Cossette, lors de son acquisition par le fonds américain Mill Road en novembre dernier. Selon l'AMF, Dominic Côté en a tiré un profit de 146 973$ en quelques jours à peine, en échangeant des actions de Cossette juste avant et juste après l'annonce de l'offre d'achat.

Parmi les autres transactions de M. Côté qui auraient été motivées par des informations «piratées» chez Ogilvy Renault, l'AMF en a retracé lors de l'annonce de négociations entre les Bourses de Montréal et de Toronto, en novembre 2007.

Dominic Côté en aurait tiré 2543$ en quelques jours.

En mars et en avril 2008, il aurait encaissé plus de 20 000$ en quelques jours lors des annonces de transactions importantes par le télédiffuseur TVA et la firme de biotech Atrium Innovations.

Et quelques mois plus tôt, en novembre 2007, Dominic Côté aurait profité d'informations glanées chez Ogilvy Renault pour encaisser 24 477$ avec des transactions rapprochées d'actions de l'éditeur de sites internet Nurun, lors de l'offre d'achat par Quebecor Media.

Selon l'AMF, Dominic Côté effectuait ses transactions surtout à partir de comptes chez Capitaux Scotia et RBC Placements en direct, qui ont été gelés par l'ordonnance réglementaire.

Des comptes bancaires détenus avec sa conjointe Nancy Turmel, chez TD Canada Trust et à la Banque Royale, ont aussi été bloqués.

Selon l'AMF, Dominic Côté effectuait ses transactions boursières par liens internet, et la plupart des bureaux mêmes de son employeur.

Révision interne

À ce sujet, l'un des dirigeants d'Ogilvy Renault à Montréal, Marc Lacourcière, a confirmé qu'une «révision interne est en cours depuis la visite de l'AMF» en fin de journée mardi. C'était la veille de l'annonce publique de l'ordonnance contre M. Côté.

«Nous avons des règles et des procédures strictes quant à l'accès aux dossiers de nos clients. Mais là, nous avons été trompés par un employé qui, comme gestionnaire en informatique, avait nécessairement accès à tout notre système», a expliqué Marc Lacourcière.

En parallèle de l'enquête interne, Ogilvy Renault doit s'efforcer de rassurer tous ses clients d'affaires qui auraient pu être affectés par les allégations de délits d'initié contre son employé.

«Au moins, ce n'est pas l'un de nos professionnels (avocats) qui est visé par cette affaire. Dans un tel cas, ça aurait été bien pire à gérer comme situation», a admis M. Lacourcière.

 

LES DÉLITS D'INITIÉ JUGÉS RÉCEMMENT AU QUÉBEC

Juin 2008

Benoît Laliberté est condamné à 900 000$ d'amende pour de multiples délits d'initié avec les actions de la PME technologique Jitec en 2000 et 2001, alors qu'il en était président et principal actionnaire.

Octobre 2007

Louis-Philippe Séguin, un ex-courtier en valeurs mobilières, est condamné à 35 000$ d'amende pour des délits d'initié commis en 2003 avec les actions de l'entreprise de sécurité GardaWorld, dont il avait été membre du conseil d'administration.

Mars 2007

Claude Vézeau, alors président de la PME biopharmaceutique Innodia, plaide coupable et obtient 5000$ d'amende pour des délits d'initié commis en 2003 avec des actions de ConjuChem, dont il était membre du conseil d'administration.

Source: archives La Presse

 

PASSIBLE DE LOURDES AMENDES... ET D'UNE PEINE DE PRISON

S'il est accusé et condamné pour délits d'initié en Bourse, l'informaticien Dominic Côté, du cabinet d'avocats Ogilvy Renault, risque d'écoper de lourdes peines. L'amende peut atteindre quatre fois les profits illégaux, et un juge peut ajouter une peine de prison.

C'est la conséquence du renforcement important des peines pour crimes financiers et boursiers ces dernières années au Canada et au Québec. C'est aussi ce que suggèrent des cas récents de délits d'initié jugés au Canada, qui impliquaient du personnel de cabinets d'avocats qui conseillaient des entreprises cotées en bourse.

Le mois dernier, à Toronto, l'avocat Stan Grmovsek a écopé de trois ans et demi de prison pour une quarantaine de délits d'initié commis entre 1996 et 2006 avec un complice et ex-collègue d'école de droit. Ces délits d'initié, qui leur ont rapporté des millions de dollars, concernaient des actions d'entreprises canadiennes d'or ou de métaux qui étaient impliquées dans des fusions ou acquisitions, et sur lesquelles M. Grmovsek puisait des informations privilégiées dans les dossiers du cabinet où il travaillait.

Par ailleurs, en juin 2008, toujours à Toronto, une secrétaire juridique, Betty Leung, a écopé d'une amende de 103 000 $ le double de ses profits illicites pour des délits d'initié commis entre 2005 et 2008. Cette femme de 53 ans échangeait des actions d'entreprises cotées en Bourse à partir d'informations privilégiées qu'elle glanait au cabinet d'avocats Bennett Jones, où elle travaillait.