Les Jeux olympiques de Vancouver ne sont même pas encore commencés et les réseaux de télévision appréhendent déjà le pire.

Aux États-Unis, le réseau NBC s'est fait à l'idée de perdre «quelques centaines de millions» en diffusant les exploits des meilleurs athlètes du monde à Vancouver. Il s'agirait des premiers Jeux déficitaires de NBC depuis 1992. Au Canada, le consortium de diffuseurs reste résolument optimiste, mais le milieu de la publicité est sceptique quant à la rentabilité des Jeux au petit écran du pays hôte.

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NBC n'a que lui-même à blâmer pour son échec financier. De son propre aveu, le réseau reconnaît avoir payé trop cher - 820 millionsUS - pour l'obtention des droits des Jeux de Vancouver. Il s'agit d'une hausse de 34% comparativement aux 612 millions US déboursés pour les Jeux de Turin en 2006. «Nos ventes de publicité sont sensiblement les mêmes qu'à Salt Lake City ou à Turin, mais les droits ont augmenté et ce sera la première fois que NBC perd de l'argent avec les Jeux olympiques sous ma direction», a dit le mois dernier Dick Ebersol, grand patron des sports de NBC depuis 1989.

NBC diffuse les Jeux d'été depuis 1988 et n'a épongé des pertes que deux fois sur six, à Séoul (1988) et à Barcelone (1992). NBC est le réseau de télévision des Jeux d'hiver depuis 2002 et a fait des profits autant à Salt Lake City (2002) qu'à Turin (2006). À Vancouver, NBC devrait perdre «quelques centaines de millions de dollars», selon ce qu'a confié à des investisseurs Jeffrey Immelt, PDG de General Electrics, l'actionnaire majoritaire de NBC. Son rival CBS, qui a diffusé les Jeux d'hiver en 1992, 1994 et 1998, ne dévoile pas les résultats financiers de ses expériences olympiques.

L'avocat montréalais Richard Pound, membre du Comité international olympique (CIO) qui a participé aux négociations des droits de télédiffusion de tous les Jeux olympiques entre 1988 et 2008, se dit surpris de l'ampleur des pertes anticipées par NBC à Vancouver. «Ça me surprend un peu, mais personne n'avait prévu une telle récession, dit-il. Sans cette récession, il n'y aurait pas de problème. GM achetait normalement 100 millions par année en publicité dans les émissions sportives aux États-Unis, dont les Jeux olympiques.»

Décidément, les Jeux d'hiver au Canada ne portent pas chance aux réseaux américains. À Calgary en 1988, ABC avait perdu 75 millions, se rappelle Richard Pound. «Les enchères pour l'obtention des droits avaient été hors de contrôle, dit-il. À l'époque des négociations, en 1984, l'inflation était autour de 10-12% et ABC avait négocié comme si l'inflation allait continuer ainsi pendant quatre ans.»

Pas de pertes annoncées au Canada

Au Canada, le consortium composé notamment de CTV, V, RDS, TSN et Sportsnet ne sait pas encore s'il diffusera les Jeux de Vancouver à perte. «C'est possible. On a encore espoir d'équilibrer notre budget, et peut-être même de faire un petit profit», dit Gerry Frappier, chef de mission francophone du consortium de diffusion et PDG de RDS.

Comme NBC, le consortium canadien a payé très cher pour diffuser les Jeux olympiques: 90 millions US, un record olympique au pays. Radio-Canada avait payé 28 millions US pour les Jeux d'hiver de Turin en 2006, puis 45 millions US pour les Jeux d'été de Pékin en 2008.

Afin de rentabiliser son investissement, le consortium télévisuel souhaite des médailles canadiennes au début des Jeux. «Si le Canada commence avec quelques médailles, il y aura une frénésie des cotes d'écoute et les annonceurs vont appeler», dit Gerry Frappier.

Les firmes qui achètent les pubs à la télé pour leurs clients doutent que le consortium puisse gagner son pari. «Ils ont payé les droits trop cher, dit Jean-Pierre Giroux, vice-président associé de la firme Touché! PHD. Sauf pour les cérémonies d'ouverture et de fermeture, il reste au moins 15% d'inventaire. C'est beaucoup de publicités à vendre durant les Jeux.»

Même son de cloche chez Cossette, qui agit aussi comme courtier de pub télé pour ses clients. «Les diffuseurs canadiens sont présentement en deçà de leurs objectifs de vente», dit Francine Marcotte, vice-présidente de Cossette Médias Québec.

«Les ventes de publicité vont très bien, assure Gerry Frappier, chef de mission du consortium. C'est normal qu'il reste des publicités à vendre durant les Jeux. Encore cette semaine, nous avons conclu des ententes importances dans les sept chiffres. Et beaucoup de clients avec des moyens importants décident d'attendre à la dernière minute avant de confirmer leur commande.»

Le consortium doit aussi se garder du temps d'antenne afin de dédommager ses annonceurs qui se sont fait promettre d'importantes cotes d'écoute. Le prix des pubs est basé sur ces promesses de cotes d'écoute. Si les réseaux n'obtiennent pas les 90% des cotes d'écoute promis, ils doivent compenser les annonceurs en leur accordant du temps d'antenne gratuit. Le cas échéant, ce précieux temps d'antenne ne peut ensuite être vendu à fort prix à d'autres annonceurs à la dernière minute.

Selon nos informations, le consortium a promis à ses annonceurs un auditoire en heure de grande écoute (de 18h à minuit en semaine) de 1 million de personnes à V, 154 000 à RDS, 3,4 millions à CTV et 550 000 à TSN. Le prix d'une pub de 30 secondes est de 10 300$ à V, 1219$ à RDS, 75 000$ à CTV et 8600$ à TSN. «Ils ne livreront probablement pas leurs auditoires», a confié à La Presse Affaires une source bien informée du milieu de la pub.

Détenteurs des droits de télédiffusion des Jeux au Canada depuis 1960, Radio-Canada et TVA n'ont pas voulu divulguer s'ils ont déjà perdu de l'argent dans l'aventure olympique.

Les pertes des réseaux de télé à Vancouver n'inquiètent pas le Comité international olympique. «NBC peut encore vendre des publicités à ce stade-ci, dit le président, Jacques Rogge. Il ne faut pas oublier que les droits ont été négociés en combo avec ceux des Jeux d'été de Londres. Certains Jeux vont générer des profits pour les diffuseurs, d'autres moins. Sur la durée du contrat, je crois que l'investissement des diffuseurs sera rentable.»

Si le CIO a l'air aussi peu préoccupé par la situation, c'est notamment que les premières ententes conclues pour le cycle olympique 2014-2016 sont encore plus lucratives. En Europe, le CIO estime être en mesure d'obtenir jusqu'à 1,2 milliardUS pour ses droits télé, soit 56% de plus que pour les 770 millionsUS (560 millions d'euros) obtenus lors du cycle olympique 2010-2012.

Le CIO n'a pas commencé les négociations aux États-Unis, son marché le plus lucratif, ni au Canada.

Le coût des droits de télédiffusion des jeux olympiques au Canada

JEUX D'HIVER

1960

50 000$ US

Squaw Valley

1964

Non diffusés

Innsbruck

1968

80 000$ US

Grenoble

1972

115 200$ US

Sapporo

1976

202 000$ US

Innsbruck

1980

Non disponible

Lake Placid

1984

1 800 000$ US

Sarajevo

1988

3 300 000$ US

Calgary

1992

10 000 000$ US

Albertville

1994

12 000 000$ US

Lillehammer

1998

16 000 000$ US

Nagano

2002

22 000 000$ US

Salt Lake City

2006

28 000 000$ US

Turin

2010

90 000 000$ US

Vancouver

 

JEUX D'ÉTÉ

1968

250 000$ US

Mexico

1972

257 000$ US

Munich

1976

360 000$ US

Montréal

1980

non diffusés

Moscou

1984

3 000 000$ US

Los Angeles

1988

4 100 000$ US

Séoul

1992

16 500 000$ US

Barcelone

1996

20 750 000$ US

Atlanta

2000

28 000 000$ US

Sydney

2004

37 000 000$ US

Athènes

2008

45 000 000$ US

Pékin

2012

63 000 000$ US

Londres

Sources : Comité international olympique, Radio-Canada