Les élus du Québec, de l'Ontario et de la Colombie-Britannique auraient-ils tous engagé le même rédacteur de discours?

La semaine dernière, en moins de 24 heures, ils ont en tout cas servi la même déclaration presque mot pour mot à leurs électeurs.

«Je voudrais qu'on vienne au Québec parce qu'on va être la puissance nord-américaine des énergies propres», a lancé Jean Charest mercredi en ouvrant la rencontre économique de Lévis.

Le même jour, le ministre britanno-colombien de l'Énergie, Blair Lekstrom, était cité dans le quotidien The Globe and Mail.

«Nous allons transformer la Colombie-Britannique en une puissance énergétique verte non seulement au Canada, mais dans toute l'Amérique du Nord.»

Le lendemain, c'était au tour du premier ministre ontarien, Dalton McGuinty, de proclamer la venue du pouvoir vert chez lui.

«L'Ontario est en train de devenir l'endroit de prédilection pour la production de l'énergie verte en Amérique du Nord», a-t-il dit.

M. McGuinty, toutefois, n'avait pas que des mots à offrir. Il venait d'annoncer que la multinationale sud-coréenne Samsung investira 7 milliards dans sa province pour développer 2500 mégawatts d'énergie solaire et éolienne - un immense projet qui promet de créer pas moins de 16 000 emplois de «cols verts» dans la province voisine.

Pour l'Ontario, il s'agissait de la première grosse prise d'un filet tendu le 1er octobre dernier pour attirer les investisseurs: la Loi sur l'énergie verte de l'Ontario.

La stratégie se résume simplement: pour attirer les développeurs de projets, la province a décidé de payer le gros prix à quiconque viendra produire chez elle de l'énergie renouvelable, qu'elle soit éolienne, solaire ou générée par des biogaz.

«L'Ontario est en train de faire exactement ce qui a été fait en Europe, et c'est la meilleure façon d'attirer des investissements», tranche Khurram Malik, analyste en technologies propres pour la firme Jacob Securities.

Selon lui, le portrait est clair: la loi ontarienne vient de positionner la province loin devant les autres dans la course qu'elles se livrent pour attirer les investissements verts.

«L'Ontario octroie des prix pour l'électricité tellement plus élevés que n'importe où en Amérique du Nord qu'on ne parle plus d'une course entre l'Ontario, la Colombie-Britannique et le Québec, mais d'une course entre l'Ontario, la Californie et le New Jersey», dit-il.

L'analyste croit que la venue de Samsung n'est que la première annonce; il s'attend à en voir d'autres bientôt.

Robert Nardi, associé et leader du groupe technologies propres, médias et télécommunications chez Deloitte & Touche, note aussi l'incroyable percée de l'Ontario dans le domaine vert.

«La Colombie-Britannique avait une longueur d'avance, mais le gouvernement ontarien a commencé à développer des programmes spécifiquement pour les technologies propres. Un résultat comme la venue de Samsung, c'est fantastique pour l'Ontario», dit-il.

Le coup d'éclat ontarien est certes spectaculaire; reste que ce n'est pas tout le monde qui l'applaudit. Des mécontents font aujourd'hui valoir qu'en octroyant des avantages évalués à 437 millions à Samsung, le gouvernement ontarien vient d'avantager un acteur par rapport aux autres, modifiant les règles du jeu qu'il a lui-même créées. Surtout qu'il paiera à Samsung le même prix pour ses mégawatts qu'aux autres producteurs non subventionnés.

Il y a un autre effet pervers évident à attirer les producteurs d'énergie en leur achetant leur énergie à prix élevé: au bout du compte, ça fera inévitablement grimper les tarifs d'électricité.

Selon l'analyste Khurram Malik, les prix versés par l'Ontario aux producteurs dépassent parfois ceux versés en Europe. Dans le cas de l'énergie solaire, par exemple, l'Ontario aurait carrément les prix les plus attrayants de la planète.

Les Ontariens, qui paient déjà plus pour leur énergie que les Québécois, ne la trouvent pas tous drôle.

 

QUAND L'ONTARIO ALLONGE L'ARGENT

EXEMPLES DE PRIX PAYÉS PAR L'ONTARIO POUR DE L'ÉLECTRICITÉ PRODUITE PAR

Éolienne terrestre : 13,5 cents/kWh

Éolienne en mer : 19 cents/kWh

Biogaz d'une ferme qui produit moins de 100 kW : 19,5 cents/kWh

Panneaux solaires, production de moins de 10 kW : 80,2 cents/kWh

À TITRE DE COMPARAISON, AU QUÉBEC

> Québec paiera 12,5 cents/kWh pour les nouveaux projets d'énergie éolienne communautaires et autochtones.

> Il paiera 7,5 cents/kWh pour des projets de mini-centrales hydroélectriques

> L'appel d'offres pour l'énergie produite à partir de biomasse a généré un prix moyen de 11,2 cents/kWh (aucun prix n'avait été fixé à l'avance).

> Il n'y a aucun appel d'offres en cours pour l'énergie solaire

> Les centrales de la Baie-James produisent de l'électricité à 1,5 cents/kWh.

Sources : Loi sur l'énergie verte de l'Ontario et Hydro-Québec