En abaissant le taux d'imposition des entreprises, le Canada refilera l'équivalent de 5 milliards de dollars d'impôts par année au gouvernement américain.

C'est ce que soutient une étude de l'économiste Erin Weir, associée au Centre canadien de politiques alternatives. Les estimations de Mme Weir vont de 4 à 6 milliards par année à partir de 2013, moment où les taux d'imposition des sociétés auront atteint le seuil ciblé par le gouvernement fédéral.

Ce transfert vers les Américains s'explique par le système fiscal différent de nos voisins et le crédit qui est offert aux entreprises américaines qui paient des impôts à l'étranger.

Les entreprises américaines sont imposées sur leurs revenus mondiaux. Lorsque vient le temps de payer leurs impôts aux États-Unis, elles ont le droit de soustraire la partie payée par leurs filiales au Canada.

Comme le taux d'imposition baisse au Canada, leur crédit baisse d'autant aux États-Unis et la portion laissée au fisc américain augmente.

Le taux d'imposition fédéral aux États-Unis est de 35%. Au Canada, le ministre des Finances, Jim Flaherty, a annoncé que le taux reculera à 15% d'ici 2012. En combinant l'impôt des provinces, l'impôt global des sociétés au Canada sera de 25-26% en 2012 ou 2013.

Autrement dit, le taux combiné fédéral-provincial aura passé de quelque 36% en 2006 à 25% en 2012. Sur leur déclaration de revenus, les filiales américaines ne déduiront donc plus 36%, en moyenne, mais 25%. Cet écart de neuf points de pourcentage ira donc directement dans les poches de Washington.

Globalement, la baisse des impôts des grandes entreprises privera le fédéral de quelque 14 milliards par année si l'on compare l'année 2013 à l'année 2006, est-il indiqué dans le dernier budget fédéral. «Si toutes les provinces se soumettent au plan (de baisses d'impôt du fédéral), les pertes totales de revenus nationales s'élèveraient à 20 milliards par année», estime Mme Weir.

Comme les filiales américaines paient environ 30% du total des impôts des sociétés, le transfert du Canada vers Washington peut être estimé à environ 6 milliards de dollars, estime Mme Weir (20 milliards X 30%).

Ces chiffres sont basés sur les estimations de croissance de profits du ministère des Finances du Canada. Advenant que les profits demeurent au niveau de 2006, le transfert serait plutôt de 4 milliards, dit Mme Weir.

Le recul des impôts canadien a pour but de rendre nos entreprises plus concurrentielles, mais également d'attirer des investissements étrangers. Or, la baisse des impôts ne produira pas cet effet sur les entreprises américaines au Canada, écrit Mme Weir, puisqu'elles devront de toute façon acquitter la différence au fisc américain.

Le ministère des Finances du Canada s'est interrogé sur cette question dans un document publié en janvier dernier. Divers arguments l'incitent à aller tout de même de l'avant.

D'abord, les profits des filiales américaines ne sont pas imposés aux États-Unis tant qu'ils ne sont pas rapatriés. Ils peuvent donc être réinvestis ici en profitant du taux d'imposition moindre.

De plus, les multinationales sont en mesure de planifier adéquatement leur fiscalité pour rapatrier leurs profits à la société mère américaine sans payer plus d'impôts au fisc américain. Entre autres, il est possible de combiner les profits des pays à hauts niveaux d'impôts avec ceux à faibles niveaux d'impôts.

Ces arguments risquent de tomber court, dit cependant Mme Erin, puisque le président américain Barack Obama propose maintenant de changer les règles américaines pour empêcher certains de ces évitements fiscaux.

Erin Weir est économiste pour le Syndicat des métallos (United Steelworkers). La problématique qu'elle soulève fait réfléchir des économistes et fiscalistes, dont Claire Laplante, de Samson Bélair/Deloitte&Touche (SBDT).

«Les filiales américaines ne profiteront pratiquement pas de la baisse des impôts ici. Le fisc américain doit dire un gros merci au Canada», dit Mme Laplante, qui est associée en fiscalité américaine et internationale de SBDT.

Pour contourner le problème, Mme Weir propose de maintenir à 35% le taux d'imposition des sociétés au Canada, fédéral et provincial combiné. Ce taux demeurerait inférieur au taux américain, puisque 47 États imposent un taux en sus du taux de 35% du gouvernement central américain, fait-elle valoir.le