Le ministre des Finances, Raymond Bachand, a haussé d'un autre cran, lundi, la rhétorique du Québec dans sa lutte contre le projet fédéral de mettre sur pied un organisme pancanadien de réglementation des valeurs mobilières.

«Le gouvernement fédéral n'a pas le droit de légiférer dans ce domaine qui relève des compétences du Québec», a-t-il déclaré dans un discours prononcé dans le cadre d'un événement organisé par l'Autorité des marchés financiers (AMF), à Montréal.

M. Bachand n'a pas hésité à laisser entrevoir sa frustration: le gouvernement de Stephen Harper «semble vouloir forcer le jeu» avec son renvoi en Cour suprême sur le sujet, a-t-il dénoncé.

«Ottawa a décidé d'ignorer le renvoi du gouvernement du Québec en Cour d'appel pour s'adresser directement à la Cour suprême, a déploré le ministre. Selon plusieurs, il s'agit d'une stratégie qui vise à renverser le fardeau de la preuve, parce que plutôt que de venir défendre la légalité de son projet en Cour d'appel, il nous engage plutôt à démontrer son illégalité en Cour suprême, mais nous le ferons.»

Le gouvernement de Jean Charest a assuré la semaine dernière qu'il maintiendrait son renvoi en Cour d'appel malgré le geste d'Ottawa, mais plusieurs experts estiment que le plus haut tribunal du Québec refusera de l'entendre du fait qu'Ottawa saisira la Cour suprême du même dossier.

Oui à un «système national»

S'adressant à des représentants du monde financier, dont le gouverneur de la Banque du Canada, Mark Carney, Raymond Bachand a tout de même tenu à se montrer sensible aux préoccupations du gouvernement fédéral et de Bay Street.

«Entendons-nous très bien: le Québec n'est pas contre un système canadien, a-t-il affirmé. Nous sommes un ardent promoteur d'un système canadien. Ca prend un système national au Canada, mais national, ça ne veut pas dire central.»

Aux yeux du ministre, un système centralisé ferait «table rase» du régime de réciprocité interprovinciale (dit de «passeport») dont le dernier jalon a été instauré le mois dernier, mais duquel la toute-puissante Ontario reste irréductiblement à l'écart.

«Si j'étais en Ontario, j'aurais honte de penser que mon institution provinciale (la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario) n'est pas assez compétente pour mettre en place un système canadien efficace tout en travaillant avec le Québec, l'Alberta et la Colombie-Britannique», a lâché M. Bachand.

Le ministre a répété les arguments traditionnels du Québec en la matière: le système actuel est efficace, il peut réagir rapidement et n'est pas moins intransigeant devant les cas de fraude.

De plus, a-t-il ajouté, la mise en place d'un organisme pancanadien entraînerait des dépenses de 150 millions $ au bas mot, et il est loin d'être prouvé que le régime existant coûte plus cher qu'un système centralisé.

Quant à la cacophonie que peut entraîner la multitude d'organismes provinciaux pour la voix du Canada sur la scène internationale, qu'il en soit ainsi, a martelé Raymond Bachand.

«Le problème, c'est que c'est ça, le Canada. Ca s'appelle le fédéralisme», a-t-il lancé.

Interrogé sur la question en matinée, M. Carney a soufflé le chaud et le froid, laissant transparaître sa préférence pour le projet fédéral, tout en se montrant ouvert au maintien du système actuel.

«Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire qu'un régime de réglementation unique est préférable, mais il existe plusieurs façons de le faire et les gens travaillent en ce sens, a-t-il commenté. (...) Tout le monde travaille dans le système actuel pour en tirer le maximum et je laisse à d'autres la décision quant à ce que pourrait être l'avenir de ce système.»