Le fisc canadien admet avoir plusieurs «lacunes» dans sa lutte contre le travail au noir. Il choisit mal ses dossiers, recueille peu de renseignements auprès des banques et d'autres sources, éprouve des problèmes de communication entre ses équipes et analyse peu le rythme de vie des contribuables soupçonnés de travailler au noir, selon un rapport interne daté de décembre dernier obtenu par La Presse Affaires.

Au nombre des critiques formulées à l'égard de l'Agence du revenu du Canada (ARC), la principale lacune reste la sélection des dossiers à risque élevé de travail au noir. Selon le rapport interne de l'ARC, le fisc devrait avoir une «approche plus centrée qui appuie la nature particulière des vérifications» des dossiers de travail au noir.

«Les processus et les contrôles peuvent être améliorés afin de détecter et de sélectionner les dossiers à risque élevé (...). Les évaluations des risques (...) n'ont pas été menées systématiquement et aucune méthode comparative pour l'évaluation des secteurs n'a été établie», écrit-on dans le rapport, qui s'appuie sur une évaluation interne de 253 dossiers de travail au noir entre 2004 et 2007.

Durant l'année financière 2007-2008, l'ARC a récupéré 150 millions de dollars de plus en impôts grâce à ses enquêtes sur l'économie clandestine.

Outre de mieux choisir ses dossiers, le rapport interne de l'ARC suggère au fisc d'utiliser des techniques de vérification plus modernes afin de lutter contre le travail au noir. À titre d'exemple, 68% des dossiers ne comportent pas d'analyse du train de vie des contribuables soupçonnés de travailler au noir. Dans 30% des dossiers, le contribuable n'est même pas rencontré. Seulement 15% des dossiers font l'objet d'une demande de renseignements bancaires, qui permet de mieux évaluer les avoirs d'un contribuable.

Même si l'ARC a des «lacunes» sur plusieurs aspects de sa vérification du travail au noir - la sélection des dossiers, les outils et techniques de vérification, la communication entre les vérificateurs et les agents de recouvrement -, le rapport souligne que le fisc a fait des «progrès raisonnables» depuis sa dernière évaluation interne en 2004. Notamment, 18 des 28 recommandations formulées en 2004 ont été complètement réalisées après quatre ans.

«L'Agence effectue du travail sérieux. Elle est toujours en train de se remettre en question et d'améliorer ses façons de faire. La vérification traditionnelle a atteint ses limites dans la lutte contre le travail au noir. Il faut être plus inventif. C'est un work in progress», dit le ministre du Revenu du Canada, Jean-Pierre Blackburn, en entrevue à La Presse Affaires.

Le ministre conservateur assure que l'ARC a déjà commencé à mieux cibler les secteurs susceptibles d'être touchés par le travail au noir dans sa sélection de dossiers à vérifier. «Nous sommes en train d'évaluer les sous-secteurs de l'économie (où le travail au noir est plus répandu), dit le ministre Blackburn. Nous avons toujours en tête la construction et le tourisme, mais nous avons aussi effectué des visites d'information auprès des producteurs de sirop d'érable. Dans le secteur de la restauration, une entreprise à Vancouver a inventé un zapper, mais nous venons de trouver un logiciel pour découvrir les gens qui l'utilisent. C'est fondamental de communiquer ces informations aux gens afin qu'ils soient au courant qu'ils vont se faire prendre s'ils utilisent ce nouveau zapper.»

En 1997, le vérificateur général du Canada estimait que l'économie clandestine représentait de 3% à 20% de l'économie du pays, souligne le ministre Blackburn. Selon le scénario le plus modéré, le travail au noir génère des revenus de 48 milliards de dollars cette année au Canada. Le gouvernement fédéral prévoit faire un déficit de 50 milliards cette année.

L'ARC consacre 8% de son budget de vérification, soit 60 millions de dollars en 2007-2008, dans sa lutte contre le travail au noir. L'agence affirme que 1028 des 45 000 employés de l'ARC sont affectés à la lutte contre le travail au noir. Durant l'année financière 2007-2008, l'ARC a traité 11 394 dossiers de travail au noir, découvrant des revenus non déclarés de 575 millions de dollars et établissant des cotisations d'impôt supplémentaires de 150 millions de dollars.

L'ARC a été incapable hier de fournir le montant des cotisations d'impôt supplémentaires récoltées au cours des années antérieures. Le fisc canadien compte un programme de vérification spécifique au travail au noir depuis 1993.