Vous vous souvenez de l'exode des cerveaux? L'expression était sur toutes les lèvres au milieu des années 90. Puis elle a peu à peu disparu du vocabulaire. Mais voilà qu'on commence à en parler de nouveau dans les universités canadiennes.

Heather Munroe-Blum, elle, n'a jamais oublié ce phénomène. Au milieu des années 90, celle qui est aujourd'hui principale et vice-chancelière de l'Université McGill était à la tête des activités de recherche de l'Université de Toronto.

Les chercheurs qui faisaient leurs valises pour mettre le cap sur les États-Unis, elle les voyait défiler sous ses yeux.

«Ce n'était pas nécessairement une question de nombre, dit-elle. C'était que les meilleurs chercheurs de leur domaine, l'un après l'autre, levaient l'ancre pour aller aux États-Unis. Astronomie, biologie, génétique, même les sciences sociales. C'était des départements entiers qui perdaient leurs leaders.»

Puis la saignée s'est soudainement arrêtée.

Que s'est-il passé? Il suffit de regarder la courbe des investissements publics en recherche universitaire pour commencer à comprendre.

Entre 1993 et 1997, les investissements du gouvernement fédéral en recherche universitaire ont décliné chaque année de façon systématique, passant de 873 millions à 793 millions. Les budgets des gouvernements provinciaux, pendant ce temps, faisaient du surplace.

Les universités ont lancé ensuite une importante offensive de lobbying auprès des gouvernements, qui a porté fruit. Les chiffres de Statistique Canada montrent qu'entre 1997 et 2005, le fédéral a plus que triplé ses investissements dans la R&D universitaire, la faisant bondir de 793 millions à plus de 2,5 milliards. Pendant la même période, les gouvernements provinciaux ont multiplié les leurs par 2,6.

Ajoutez à cela l'élection d'un gouvernement Bush peu sympathique à l'innovation aux États-Unis - les restrictions du financement fédéral sur la recherche impliquant des cellules souches embryonnaires en ont été le symbole le plus évident - et vous avez tout ce qu'il faut pour ramener vos chercheurs au bercail et en attirer d'autres.

C'est effectivement ce qui s'est produit.

«En moins d'une décennie, nous avons recruté presque 900 nouveaux professeurs à McGill, dont 60% qui provenaient de l'extérieur du Canada», dit Mme Munroe-Blum.

Le hic, c'est que George W. Bush n'est plus à la Maison-Blanche. Et l'une des toutes premières actions de son successeur a été de lever les restrictions sur la recherche sur les cellules souches, un symbole applaudi par le milieu de la recherche.

Investissement américain

Barack Obama a aussi promis d'investir 3% du PIB américain en recherche et de doubler d'ici 10 ans le budget de plusieurs agences scientifiques, comme le National Science Fondation.

Au Canada, le gouvernement fédéral a bien annoncé un fonds de 2 milliards pour rénover les établissements universitaires, en plus d'accorder 750 millions à la Fondation canadienne de l'innovation et 87,5 millions sur trois ans pour un programme de bourses pour les étudiants des cycles supérieurs.

Mais les compressions de 5% dans le budget de l'Institut de recherche en santé du Canada et du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, qui se sont répercutées entre autres sur l'Observatoire du Mont-Mégantic, ont mis le feu aux poudres.

Le milieu universitaire a réagi en lançant une campagne intitulée «Ne laissez pas le Canada à la traîne». Le mouvement a envoyé une lettre au premier ministre Harper et au chef de l'opposition pour leur demander de réagir aux initiatives américaines; elle portait les signatures de 2038 chercheurs.

La crainte est simple: voir les chercheurs canadiens quitter à nouveau le pays.

«Les chercheurs sont des gens extrêmement mobiles, explique Mme Munroe-Blum. Ce qui est important pour eux n'est pas nécessairement la rémunération, mais de pouvoir utiliser leur talent au maximum.»

«Notre meilleur talent au Québec ira là où sont les possibilités, résume-t-elle. Obama qui investit massivement au sud de la frontière, c'est un appel très fort. Il faut absolument le concurrencer.»