Alberta et récession. Deux mots qu'on a peu l'habitude de voir côte à côte. C'est pourtant ce qu'a annoncé hier la ministre des Finances, Iris Evans. Elle s'attend à ce que sa province perde 15 000 emplois cette année... et à un déficit d'un milliard. Vincent Brousseau-Pouliot rentre tout juste de l'Ouest où il est allé sonder les reins et les coeurs des Albertains.

Récession. D'ordinaire, le mot est maudit dans les milieux d'affaires, qui n'aiment pas les pertes d'emplois, les profits à la baisse et le climat de morosité économique qui l'accompagnent.

 

Et pourtant, le président sortant de la Chambre de commerce d'Edmonton accueille la récession secouant l'économie du pays avec détachement, voire avec soulagement. «L'économie allait trop vite en Alberta. Ce n'était pas sain quand le baril de pétrole était à 150$ l'été dernier. Il y avait trop de pétrole à extraire. La drogue, le crime, les divorces, le stress: la vie était devenue folle. Ce n'était pas le monde où les Albertains voulaient vivre. Nous commençons enfin à revenir à une économie normale de trois millions de personnes», dit Patrick LaForge, qui est aussi le PDG des Oilers d'Edmonton, le club de hockey.

Une économie normale: voilà un nouveau concept pour le maire de Calgary, Dave Bronconnier, qui gère une ville en pleine adolescence - c'est-à-dire en pleine croissance - depuis sa première élection, il y a huit ans. «La récession aura des effets négatifs et positifs, dit le maire. L'économie était trop enflammée au cours des cinq dernières années. Environ 60% des nouveaux édifices à bureaux au Canada étaient construits à Calgary. C'était rendu difficile d'avoir des travailleurs. Sur la planète, seules les villes de Dubaï et Shanghai ont connu une croissance aussi importante au cours des dernières années.»

L'année 2009 sera différente pour les Albertains. Les mises à pied ont déjà commencé, dans les bureaux huppés des firmes d'ingénierie de Calgary comme dans les chantiers boueux du nord de la province où sont concentrés les puits de pétrole.

En deux mois, le taux de chômage a augmenté de 3,4% à 4,4%, le pire résultat de la province depuis 2004. De la ministre des Finances de l'Alberta au président des Oilers d'Edmonton, tous les ténors du milieu des affaires albertain soupçonnent que la situation est encore plus grave que ne l'indiquent les chiffres de Statistique Canada. Des travailleurs venus d'ailleurs au pays qui perdent leur emploi en Alberta décident de rentrer chez eux et deviennent des chômeurs dans leur province d'origine.

Malgré ses déboires, l'Alberta n'est pas à plaindre. Elle a tout de même le deuxième taux de chômage le plus bas au Canada. Elle a été détrônée du premier rang de justesse le mois dernier par la Saskatchewan (4,2%). «C'est encore le plein emploi», dit le ministre de l'Emploi, Hector Goudreault, un Franco-Albertain. «Il manque encore de travailleurs qualifiés, dit Patrick LaForge. Juste en venant à l'aréna aujourd'hui, j'ai vu des affiches de deux entreprises de béton qui engagent...»

Selon le Conference Board du Canada, l'économie albertaine sera la deuxième plus vigoureuse au pays en 2009. Sa croissance prévue de 2,4% sera devancée seulement par la Saskatchewan ("3,6%).

Espoir et optimisme

Preuve que les choses ne vont pas si mal en Alberta, les Canadiens des autres provinces continuent d'accourir dans la province la plus riche du pays. Ils ont espoir d'une vie meilleure, mais surtout d'une vie plus payante. En Alberta, le revenu médian des familles est de 78 400$, loin devant les autres provinces canadiennes, dont l'Ontario (66 600$) et le Québec (59 000$).

Parmi ces néo-Albertains remplis d'espoir, Layne French, qui a quitté Victoria en Colombie-Britannique il y a trois mois afin de trouver un emploi à Edmonton. Récession ou pas, il ne regrette pas d'avoir quitté sa ville natale pour la capitale albertaine, où il travaille dans le service à la clientèle. «C'est mieux en Alberta, dit le jeune homme au début de la vingtaine. Les salaires sont meilleurs et mon loyer n'est pas trop cher. J'arrive à la fin du mois en travaillant seulement à temps partiel. Il y a plus d'opportunités d'emploi en Alberta que n'importe où ailleurs au pays. Je suis retourné à Victoria durant les Fêtes et j'ai vu la ville changer à cause de la récession. À Edmonton, je ne sens pas ce changement.»

Même son de cloche de la part de Cyrus D'Souza, un Torontois établi à Edmonton depuis huit mois et maintenant gérant de la boutique Roots dans l'immense centre commercial West Edmonton Mall. «La récession n'est pas aussi pire en Alberta qu'en Ontario, même si vous pouvez la sentir ici aussi», dit-il.

Une conclusion s'impose: ces deux néo-Albertains se sentent déjà chez eux dans leur province d'accueil, où l'optimisme est toujours de rigueur. «Les Albertains sont des gens résilients qui sont habitués à vivre avec les hauts et les bas d'une économie basée sur le pétrole», dit le maire de Calgary, Dave Bronconnier.

Le maire Bronconnier ajoute que ses concitoyens sont habitués à vivre avec les hauts et les bas de la vie, point. En Alberta, même la météo est d'humeur changeante, conséquence du Chinook qui survole les Rocheuses...

 

Alberta / Québec

Population 3 610 782 / 7771 854

Revenu médian familial 78 400 / 59 000

Dette 0$ / 145 milliards$

Taux de chômage 4,4% / 7,7%

Valeur d'une propriété 352 857$ / 210 775$

Note: Données les plus récentes (octobre 2008 pour la population, 2008 pour le PIB, le PIB par résident et la valeur d'une propriété, janvier 2009 pour le taux de chômage). Sources : Statistique Canada, Conference Board du Canada, Association canadienne de l'immobilier.

 

1 milliard

Déficit prévu cette année, le premier en 15 ans

3 milliards La valeur du Fonds du patrimoine, mis sur pied pour des jours plus difficiles, est passée de quelque 14 milliards à 11 milliards de dollars.

15 000 Le nombre d'emplois qui devrait être perdu cette année alors que l'économie reculera de 2%.