Le Canada et l'ensemble des provinces vont admettre beaucoup plus d'immigrants économiques cette année, ce qui inclut les travailleurs spécialisés, les entrepreneurs et les investisseurs. Mais le Québec fait bande à part, souhaitant recevoir à peine plus d'immigrants que l'année dernière, selon des données obtenues grâce à la Loi fédérale sur l'accès à l'information.

Cette nouvelle pourrait en cacher une autre, selon Me Richard Kurland, avocat de Vancouver spécialisé en droit de l'immigration, qui a obtenu les chiffres et qui en a publié une partie dans la dernière livraison du bulletin «Lexbase»: les temps sont difficiles, et le Québec se sent probablement incapable de garantir des emplois à beaucoup plus d'immigrants.

 

L'année dernière, le gouvernement canadien prévoyait délivrer 102 740 visas d'immigration économique pour toutes les provinces, en excluant le Québec. Pour 2009, la cible est de 110 235. Une augmentation de 7,3%. «Il s'agit d'un excellent programme», se réjouit Me Kurland, qui s'étonne toutefois que le Québec ne suive pas le mouvement.

En 2008, le gouvernement du Canada prévoyait délivrer 37 150 visas d'immigration économique pour le Québec. Cette année, sa cible est à peu près la même, soit 37 905 personnes, ce qui inclut les conjoints et les enfants. En réalité, le chiffre sera beaucoup plus bas.

Des milliers d'étrangers obtiennent leur certificat de sélection du Québec (CSQ), document essentiel pour obtenir ensuite le visa d'immigration du Canada pour le Québec, mais ils finissent par s'installer dans une autre province ou même par rester chez eux. C'est le cas d'une partie importante des immigrants investisseurs, particulièrement nombreux à Hong Kong. Ces derniers remettent un dépôt de 400 000$ à Investissement Québec, ce qui leur permet d'obtenir le CSQ et le visa, mais eux-mêmes vont habiter à Vancouver ou ailleurs.

Selon le plan triennal du ministère de l'Immigration et des Communautés culturelles du Québec pour la période 2008-2009, le nombre maximum d'immigrants économiques venant vraiment s'établir au Québec devrait passer de 31 400 à 31 800 cette année. Le nombre total d'immigrants, en comptant les bénéficiaires du programme de regroupement familial et les réfugiés, restera vraisemblablement inférieur à 50 000.

Le porte-parole d'Immigration Québec, Claude Fradette, a refusé de commenter les objectifs contenus dans les documents d'Immigration Canada. «Ce n'est pas à moi de confirmer des données qui proviennent de tableaux d'Immigration Canada, a-t-il indiqué dans un courriel envoyé à La Presse. Néanmoins, pour ce qui est des objectifs de 2008, je peux vous dire que la donnée globale de 37 150 visas à délivrer dans la catégorie économique est acceptable.

«Pour ce qui est des objectifs de 2009, toutefois, je ne peux ni confirmer, ni infirmer ces données, étant donné que le plan d'immigration 2009 du gouvernement du Québec n'a pas été déposé à l'Assemblée nationale à ce jour (à cause du déclenchement des élections cet automne). La règle exige que le plan soit déposé en session parlementaire régulière. Il le sera donc très prochainement à la reprise des travaux de l'Assemblée.»

Loin du scénario

Quoi qu'il en soit, le Québec est loin d'accueillir 60 000 immigrants par année, un scénario qui avait été étudié en commission parlementaire, en septembre 2007, et qui avait été vigoureusement dénoncé par le chef de l'Action démocratique du Québec, Mario Dumont.

«C'est plus que la ville de Rouyn-Noranda qu'on recolle au Québec à toutes les années en nouveaux arrivants, avait-il déclaré. Et pour l'instant, ce qu'on voit, c'est que ce nombre-là, on est essoufflé à l'intégrer. Sur le plan de l'intégration, sur le plan de l'identité, il y a des enjeux qui sont en cause, et je pense qu'ils nous appellent tous à une certaine modération, une certaine prudence avant de rehausser les seuils de façon aussi draconienne.»

De son côté, Me Kurland, qui a aussi des bureaux à Montréal, se demande si le Québec n'est pas en train de se nuire en laissant les autres provinces augmenter fortement le nombre d'immigrants, mais en refusant, lui, de suivre le mouvement.

«Il est possible que le Québec estime qu'il ne serait pas capable de trouver un emploi pour tous ces immigrants, parce qu'il serait frappé plus durement par la crise économique, a-t-il dit, au cours d'un entretien téléphonique depuis Vancouver. Mais c'est une politique risquée. Le Québec risque de manquer le bateau. Il est étonnant aussi de le voir se priver d'un plus grand nombre d'immigrants investisseurs, qui apportent des capitaux, achètent des maisons et contribuent à faire rouler l'économie québécoise.»

Comme par les années passées, c'est le bureau d'Immigration Canada de Paris qui émettra le plus de visas d'immigration pour le Québec, suivi par les bureaux de Buffalo, de Hong Kong (principale source d'immigrants investisseurs), de Damas (Syrie) et de villes situées dans des pays membres de la francophonie, comme Rabat (Maroc), Bucarest (Roumanie), Port-au-Prince (Haïti) et Abidjan (Côte d'Ivoire).

Selon le plan triennal adopté il y a un an, la proportion d'immigrants connaissant le français est en augmentation constante. Elle est passée de 55% en 2004 à 60% en 2007 et pourrait atteindre 63% dès 2009. Année après année, le Québec perd la majorité de ses immigrants investisseurs au profit des autres provinces et environ le cinquième des travailleurs qualifiés.