Un designer automobile autodidacte autonome, dirions-nous. Luc Chartrand a fait lui-même le design de sa Pléthore, voiture exotique québécoise présentée depuis vendredi au salon de l'auto de Montréal. Un phénomène.

«Les gens, ici, n'ont pas allumé tellement, lance-t-il. Je suis peut-être le seul gars sur la planète qui a conçu et créé une auto complète de ce type-là. Normalement, il faut 20 ingénieurs et j'ai tout fait tout seul.» Il avait même songé à faire inscrire cet exploit dans le Livre Guinness des records, mais les coûts lui ont fait faire marche arrière.

Comment peut-on faire soi-même le design d'une voiture?

Luc Chartrand a une formation en électronique et il a travaillé dans le secteur aéronautique, où il a acquis ses notions d'aérodynamique, explique-t-il.

Il a ensuite touché au moulage de fibre de verre, où cette fois il a appris à manipuler les matériaux composites.

Il apprend vite, assure-t-il. Un coup d'oeil lui suffit. Il évoque ces phénomènes du calcul mental qui peuvent donner sur-le-champ le résultat d'une multiplication complexe. Lui, c'est la matière et la technique qu'il perçoit aussitôt.

Il n'a jamais étudié en design, mais durant ses études en électronique, il dessinait déjà des voitures.

À la fin des années 90, alors qu'il fabriquait des répliques de Lamborghini, il a fait les premières esquisses sommaires de son bolide. Mais c'est dans sa tête que sa carrosserie prenait véritablement forme. «J'avais mes lignes maîtresses, décrit-il. Ensuite, je me suis fait une petite maquette à l'échelle pour faire une étude de style et voir ce que ça aurait l'air en 3D. Ensuite, j'ai construit un modèle grandeur nature.»

Il a façonné des pièces de mousse de polystyrène fixée sur une structure d'acier. Un moule en plâtre a suivi, dans lequel il a formé des pièces en fibre de verre. «D'autres sont vraiment meilleurs dans le design sur papier. Moi, je me considère comme un sculpteur.»

Il faisait le tour de son modèle, modifiait une courbe, corrigeait une arête. «Je regardais l'auto sous tous les angles. Quand je n'aimais pas un détail, je refaisais la forme, mais quelquefois, ça modifiait le look dans un autre angle. Je voulais que le véhicule soit beau sous tous ses angles.»

Il est toutefois demeuré fidèle à ses objectifs de départ, d'une voiture sport à moteur central. «Pour les lignes, ça a toujours été le même véhicule, mais que j'ai amélioré parce que la conception a nécessité quand même 15 ans.»

Le design date donc de plus de 10 ans? «Le but n'était pas d'avoir un look Goldorak, plein de lignes et de pointes», répond-il, pour montrer son indépendance des effets de mode. «Je voulais un beau char et je me foutais un peu du Cx (coefficient aérodynamique). Je ne voulais pas avoir à dessiner une goutte d'eau.»

Le Cx de sa Pléthore est tout de même de 0,37, l'équivalent d'une Lamborghini, soutient-il... sans les études en soufflerie de la belle italienne.

Et encore, nous n'avons encore parlé que de la carrosserie. «Le châssis, la suspension, l'électronique, la mécanique, c'est tout moi qui ai pensé à ça», assure-t-il.

Il lui a tout de même fallu compter sur des pièces existantes. L'essuie-glace à bras central est copié de Mercedes. Les phares, repiqués eux aussi, sont partiellement recouverts par l'arête du capot, pour en personnaliser le regard.

Le design intérieur est moins accompli. On y sent Luc Chartrand moins à son aise. Ici aussi, il a appris sur le tas, en consultant des spécialistes et en se conformant aux normes ergonomiques. Il vient d'ailleurs de réviser son tableau de bord, juste à temps pour le salon de Montréal.

Nous avons demandé l'avis d'un autre spécialiste, le designer automobile québécois Paul Deutschman, qui a lui-même une longue feuille de route en conception de voitures exotiques ou spécialisées.

Pour le style de la Pléthore, c'est matière de goût. Paul Deutschman préfère les lignes un peu plus sobres. «Il se passe beaucoup de choses dans les formes à l'arrière», observe-t-il, où les doubles feux, ronds, s'inscrivent dans des cannelures qui courent sur les ailes. Mais il reconnaît qu'une telle exubérance n'est pas inopportune dans cette catégorie de véhicule, et qu'elle plaira à plusieurs amateurs.

Il n'observe rien d'incorrect sur le plan aérodynamique. L'important, c'est le résultat. «Peu importe comment tu arrives à la fin, dit-il. Tu peux même sculpter dans un bloc de fromage.»

«Bravo pour son travail, conclut le designer. Mais le prototype, ce n'est que le bout de l'iceberg. Le plus grand défi reste à venir.»