Début des années 2000. Toyota, grisé par son succès et par une demande en pleine croissance, annonce une hausse spectaculaire de sa cadence de production. Un demi-million de véhicules supplémentaires seront produits tous les ans, décrète l'entreprise.

Dix ans plus tard, le constructeur japonais a réalisé son objectif de dépasser General Motors au premier rang mondial des ventes. Mais quelque part en chemin, la «méthode Toyota» s'est brisée. Les contrôles serrés de la qualité qui ont fait sa réputation ont failli, entraînant le rappel de 7,6 millions de véhicules à cause d'une pédale d'accélérateur défectueuse.

«C'est incompréhensible», dit Tamer Boyaci, professeur agrégé en Opérations et méthodes quantitatives à l'Université McGill, qui étudie depuis des années les méthodes de production de Toyota.

Quelqu'un, parmi les 323 000 employés du groupe, aurait dû détecter le problème et réagir immédiatement, souligne l'expert. Selon la philosophie traditionnelle de Toyota, les travailleurs sont encouragés à signaler les irrégularités dès qu'elles surviennent.

«Toute l'attention des gestionnaires est ensuite concentrée sur ce problème tant qu'il n'est pas réglé, explique M. Boyaci. Même si le problème n'est pas gros, la chaîne de production s'arrête pour ne pas qu'il se répète sur toutes les voitures.»

Dans le cas des pédales d'accélérateur, la défectuosité - ou du moins son ampleur - n'a pas été signalée rapidement. Une quinzaine de personnes auraient déjà perdu la vie aux États-Unis à cause de cette lacune.

Que s'est-il passé pour que Toyota laisse passer un tel problème? L'entreprise a voulu devenir trop grosse trop vite, croit le chroniqueur automobile Jacques Duval, qui suit le constructeur depuis ses débuts modestes en sol canadien au début des années 60. «Ils sont victimes de leur succès», dit-il.

«Ils ont gagné leurs épaulettes avec la fiabilité, et puis les ventes ont progressé considérablement et la qualité s'est relâchée pour accélérer les chaînes de production», poursuit M. Duval.

Dans son dernier rapport annuel - publié avant l'histoire des pédales défectueuses -, Toyota a reconnu que l'augmentation de production de 500 000 véhicules par année depuis 2003 a causé des problèmes. «Bien que cela nous ait permis de répondre à la demande de nos clients, en fin de compte, cela nous a empêché de capitaliser sur nos forces fondamentales», peut-on lire.

Une longue histoire

Toyota a bâti sa réputation de fiabilité brique par brique depuis sa fondation en 1937. Pendant les premières années, les dirigeants ont trimé pour effacer l'aura de piètre fiabilité alors accolée aux produits «made in Japan», rappelle Jacques Duval.

Le constructeur a fait des pas de géant au chapitre de la fiabilité pendant les années 60. Le premier importateur de Toyota au Canada, un certain Hector Dupuis, se faisait d'ailleurs un devoir de vanter les vertus de ces voitures alors très peu connues ici, souligne M. Duval.

«À l'époque, M. Dupuis était très enthousiaste et nous racontait comment les Japonais, dès qu'on leur faisait remarquer un problème quelconque sur une voiture, le réparaient tout de suite car ils voulaient réussir sur le marché», rappelle-t-il.

Cette réputation de qualité s'est consolidée au fil des décennies suivantes. Toyota a lancé une série d'excellents produits comme la Corolla, en 1966, qui sont devenus des modèles pour l'industrie. Les méthodes de production du groupe, basées sur la gestion serrée des effectifs et une résolution des problèmes à la source, ont été imitées partout dans le secteur automobile et au-delà.

Avec le rappel massif de la semaine dernière, la réputation de Toyota a sans aucun doute subi «un oeil au beurre noir», dit Karl Moore, professeur de gestion à l'Université McGill. «L'expression parfaite dans ce cas-ci, c'est la chute d'un géant.»

En plus de redorer son image salie, Toyota devra continuer à assainir son bilan au cours des prochains mois. L'entreprise a enregistré une perte de 7,7 milliards US au dernier trimestre de l'an dernier, la deuxième et de loin la pire de son histoire. Ses ventes mondiales ont chuté de 15% l'an dernier, à 7,57 millions d'unités, dans une industrie frappée de plein fouet par la crise du crédit.

Le constructeur a lancé un vaste programme de restructuration pour affronter la tempête. Il fermera une usine en Californie - une première depuis sa fondation - en plus de se retirer du circuit de la Formule 1. La dette à long terme de Toyota s'élevait à 74 milliards US en septembre dernier, selon Zacks Investment Research.

Le titre de Toyota a clôturé à 3400 yens (39,70$CAN) hier à la Bourse de Tokyo, en baisse de 5,7%. Il a perdu 12,3% depuis le début de l'année.

CHRONOLOGIE DE TOYOTA

1937

Fondation de Toyota Motor Co. au Japon.

1947

La production intérieure atteint 100 000 unités.

1957

Implantation aux États-Unis.

1966

Lancement de la Corolla, devenue emblématique de la marque.

1989

Lancement de la bannière haut de gamme Lexus.



2003


Le groupe augmente en flèche la cadence de production, pour construire 500 000 véhicules de plus par année.

2008

Le modèle hybride Prius franchit le cap du million d'unités vendues.

2009

Janvier

Toyota dépasse GM pour devenir le premier constructeur mondial, avec 8,35 millions de véhicules vendus en un an.

Mai

Toyota publie les pires résultats depuis sa fondation: l'entreprise perd 7,7 milliards US en un seul trimestre.

Août

Pour la première fois de son histoire, Toyota annonce la fermeture d'une usine, en Californie.

Novembre

En pleine restructuration financière, Toyota quitte la Formule 1.

2010

Janvier

Toyota rappelle des millions de véhicules dans le monde. Sa réputation de fiabilité est sérieusement entachée.





 

TOYOTA DANS LE MONDE

209 milliards US

Revenu total en 2009

7,7 milliards US

Perte au quatrième trimestre de 2009

2,2 milliards US

Perte prévue cette année

-15%

Baisse des ventes mondiales l'an dernier, à 7,57 millions d'unités

74 milliards US

Dette à long terme*

322 650

Nombre d'employés

AU CANADA

18 340

Employés au Canada**

3087

Employés au Québec

Deux usines

Woodstock et Cambridge en Ontario

3,22 millions

Véhicules produits depuis 1988

*en date du 9 septembre 2009

**avril 2009

Sources : Toyota, Bloomberg et Zacks Investment Research