Un Québécois qui veut s'acheter un VUS devra-t-il désormais se rendre en Ontario? C'est la menace que brandissent les concessionnaires québécois et les constructeurs automobiles, qui demandent à Québec de retirer un règlement sur les émissions des voitures entré en vigueur depuis deux jours à peine.

Mais Québec réplique que ces craintes sont «exagérées» et refuse de reculer.

«On n'a pas l'intention de retirer le règlement», a tranché hier Dave Leclerc, attaché de presse au cabinet de la ministre de l'Environnement, Line Beauchamp.

Ce bras de fer entre les acteurs de l'industrie automobile et le gouvernement du Québec concerne un nouveau règlement qui vise à limiter les émissions de gaz à effet de serre des voitures vendues au Québec.

«On a peur que les gens achètent outre-frontière. Ça se traduira par des pertes de ventes, des pertes de revenus et des pertes d'emplois pour les concessionnaires du Québec», affirme Jacques Béchard, président-directeur général de la Corporation des concessionnaires d'automobiles du Québec.

Le règlement en question, dont les détails sont plutôt techniques, a donné lieu à plusieurs interprétations au cours des derniers jours.

En gros, il stipule qu'un constructeur doit respecter un seuil d'émissions moyen pour l'ensemble des véhicules qu'il vend au Québec. Rien n'empêche un constructeur de vendre de gros VUS aux Québécois; il devra cependant compenser en vendant de petits véhicules pour faire baisser sa moyenne sous un certain seuil, sous peine de payer des pénalités.

À Québec, on explique qu'on veut ainsi inciter les constructeurs à promouvoir la vente des véhicules les moins énergivores, ou encore pousser la mise au point de technologies capables de réduire les émissions des véhicules.

Mais les concessionnaires québécois craignent que les constructeurs contournent le problème par une autre stratégie: retirer carrément les modèles les plus polluants des salles de montre du Québec pour aller les vendre ailleurs.

Unique ou pas?

Tant les concessionnaires que les constructeurs prétendent que Québec fait bande à part en adoptant des normes plus sévères que partout en Amérique du Nord. Québec affirme au contraire avoir calqué son règlement sur celui de la Californie, qui a aussi été adopté par 14 autres États américains et qui est appliqué là-bas depuis juin dernier.

Selon Québec, les 15 États représentent ensemble 40% du marché américain de l'auto. «Dire qu'on est seul de notre côté, c'est complètement faux», dit Marcel Gaucher, directeur du bureau des changements climatiques au ministère de l'Environnement.

C'est aussi l'avis de Christian Navarre, spécialiste de l'industrie automobile de l'Université d'Ottawa. «J'ai lu le règlement californien, j'ai lu le règlement québécois. C'est cousin-cousin, c'est la même chose», affirme l'expert, qui se dit peut convaincu par les arguments des constructeurs.

Il faut savoir que les États-Unis sont en voie d'adopter des normes fédérales inspirées des normes californiennes. Le gouvernement fédéral canadien a aussi annoncé son intention d'emboîter le pas. Les constructeurs et concessionnaires demandent justement à Québec d'attendre et d'harmoniser ses règles avec celles de l'ensemble de l'Amérique du Nord.

À Québec, on répond essentiellement qu'on est ouvert à harmoniser les règles en temps et lieu, mais qu'il faut bien des précurseurs pour inciter les autres à bouger.

Selon l'expert Christian Navarre, les constructeurs japonais et européens, déjà soumis à des règles dans leurs pays d'origine, auront très peu de difficulté à se conformer aux règles québécoises. L'expert croit que certains constructeurs américains devront s'adapter, mais souligne qu'ils ont le temps.

Le règlement québécois est en effet progressif. Il devient de plus en plus strict avec les années et permet d'utiliser des «crédits» accumulés au cours des bonnes années pour annuler les dépassements générés au cours des moins bonnes. Quant aux amendes, elles ne seront imposées que dans cinq ans.