Après six semaines de chômage forcé, les 9400 employés de Chrysler au Canada reprendront bientôt le travail grâce à l'alliance conclue hier avec le constructeur italien Fiat.

Le «nouveau Chrysler», qui misera sur les petites voitures de Fiat pour reprendre des parts de marché, commencera «immédiatement» ses activités, ont annoncé les deux groupes dans un communiqué conjoint. Les travailleurs jubilent.

«C'est une bonne nouvelle, parce que tant le gouvernement du Canada que celui des États-Unis ont dit que Chrysler ne pourrait survivre en tant que société indépendante, a dit Ken Lewanza, président des Travailleurs canadiens de l'automobile (TCA), pendant un entretien téléphonique. Je suis incroyablement satisfait.»

Chrysler a fermé temporairement toutes ses usines nord-américaines le 1er mai dernier, au lendemain de son dépôt de bilan aux États-Unis. Les trois usines canadiennes du groupe devraient redémarrer la production le 29 juin, selon Ken Lewanza, une information que la porte-parole de Chrysler Canada a refusé de confirmer.

Chrysler aura un tout autre visage au sortir de sa restructuration judiciaire éclair, bouclée en seulement 42 jours. Le troisième constructeur américain sera détenu à 20% par Fiat, proportion qui pourrait grimper jusqu'à 35% quand certaines conditions seront remplies. Son plus important actionnaire sera - et de loin - un fonds du syndicat américain des Travailleurs unis de l'automobile (UAW), avec 55% du capital.

Ottawa et Washington, qui ont injecté ensemble plus de 8 milliards US dans l'entreprise, détiendront respectivement 2% et 8% des parts. Les gouvernements menaçaient de retirer leur aide financière à défaut d'une alliance avec Fiat, ce qui aurait signifié la mort du constructeur fondé en 1925.

Le PDG de Fiat, Sergio Marchionne, a été nommé président de Chrysler Group LLC. La nouvelle entité reprendra l'essentiel des actifs du constructeur en faillite, à l'exception de certaines dettes.

«Je sais que le processus a été difficile pour toutes les parties impliquées, mais nous sommes prêts à prouver aux consommateurs américains que Chrysler peut de nouveau être une entreprise forte et concurrentielle», a déclaré M. Marchionne dans un communiqué.

Fiat n'allonge pas d'argent dans la transaction, mais fera plutôt profiter Chrysler de ses technologies évaluées à plusieurs milliards. Le constructeur italien devrait introduire sur le marché nord-américain son petit modèle 500, très populaire en Europe. La marque Alfa Romeo pourrait aussi être ramenée aux États-Unis.

Fiat, qui a elle-même frôlé la faillite il y a quelques années, veut faire profiter Chrysler de son «expertise dans le redressement d'entreprise». Le constructeur américain bénéficiera aussi du réseau international de distribution de Fiat, avec un accent particulier mis sur la Russie et l'Amérique du Sud, a indiqué le groupe hier.

<b>D'autres compressions?</b>

Richard Powers, spécialiste de l'industrie automobile de l'Université de Toronto, s'attend à ce que des produits Fiat apparaissent sur le marché nord-américain d'ici de 12 à 24 mois. Mais plusieurs questions restent à régler, souligne-t-il.

«Ils doivent augmenter la production en Europe et décider s'ils vont produire certaines de ces voitures en Amérique du Nord, ce qui impliquerait un réoutillage de certaines usines», a-t-il dit.

D'autres coupes et fermetures d'usine sont à prévoir au sein de la nouvelle entité, ajoute M. Powers. La société pourrait avoir du mal à faire accepter ces compressions en raison de la forte participation du syndicat UAW dans le capital de l'entreprise, selon lui.

Foutaise, dit Ken Lewanza, président des TCA. Il soutient que la forte présence syndicale dans l'actionnariat n'influencera pas la manière dont le nouveau Chrysler sera dirigé. «Tout ce qu'on veut, c'est que les consommateurs recommencent à acheter nos produits. Tout le reste est de la rhétorique.»

Sergio Marchionne n'a évoqué aucune compression supplémentaire dans le communiqué diffusé hier. Chrysler a déjà sérieusement dégraissé ses activités depuis le début de 2007, en supprimant plus de 32 000 emplois et en réduisant de 1,2 million d'unités sa production annuelle de véhicules. Le groupe d'Auburn Hills, au Michigan, compte aujourd'hui 54 000 travailleurs et détient 10% des parts de marché aux États-Unis.

Au Canada, aucune coupe n'est prévue chez les 9400 travailleurs, a indiqué à La Presse Affaires la porte-parole Mary Gauthier. Chrysler a licencié 1500 personnes au pays depuis 2005, en plus de fermer une usine.

Le nouveau Chrysler aura des ventes combinées d'environ 4,5 millions de véhicules, ce qui en fera le sixième constructeur mondial, derrière Ford. Le PDG de Fiat prévoit une consolidation accrue de l'industrie et chercherait toujours à faire d'autres acquisitions pour atteindre un volume de vente annuel de 6 millions d'unités.

Le groupe a tenté le mois dernier de racheter Opel, la filiale allemande de General Motors, sans succès.

L'alliance entre Fiat et Chrysler a franchi son dernier écueil avant-hier quand la Cour suprême des États-Unis a rejeté un recours déposé par trois régimes de retraite de l'Indiana. Ils s'estimaient lésés par la transaction et tentaient de faire bloquer la vente.

Le titre de Fiat a connu son gain le plus fort en cinq semaines hier à la Bourse de Milan, pour clôturer à 7,79 euros (12,07$ CAN), en hausse de 4,9%. L'action a progressé de 70% depuis le début de l'année, ce qui place la capitalisation boursière du groupe à 14,55 milliards de dollars CAN.