C'était il y a cinq ans. André Laramée vient de terminer avec son équipe le plan de transition pour assurer la relève à la tête de CVTech, une PME à capital fermé de Drummondville qui fabrique des transmissions.

L'objectif est clair: à 58 ans, le PDG se donne encore deux ans avant de céder la pédale d'embrayage à la relève. «On aurait vécu de nos dividendes et tout était, sur papier, classé», raconte M. Laramée.

 

C'est à ce moment que le téléphone sonne.

Au bout du fil, des représentants du géant indien Tata Motors, qui ambitionnent de lancer une microvoiture à un prix tout aussi micro. On apprendra plus tard qu'il s'agit de la Nano, en vente à 2500$US. Tata veut que CVTech lui propose une transmission automatique pour la voiture. «Cette demande-là nous a piqués un peu», poursuit celui qui remet alors ses projets de retraite à plus tard.

Piqués... et sceptiques. «T'as beau être bien ouvert, une Smart à l'époque se vendait à peu près 22 000$. À 2500$, t'as neuf Tata pour une Smart. C'est quand même un gros défi. Mais je me disais, si ça ne marche pas à 2500$, ça va marcher à 3000$ ou à 3500$.»

Le conseil de direction saute dans un avion à destination de l'Inde. «On se targuait à l'époque d'être un leader mondial dans le produit qu'on fabriquait. C'était une belle occasion de se benchmarker avec tout ce qu'il y avait de fabricants de CVT (des transmissions) dans le monde.»

Et la comparaison est concluante. CVTech est la seule entreprise qui passe les nombreux tests de Tata avec succès.

Mais il y a un hic. Dans leur plan de retraite, les dirigeants de CVTech avaient décidé de laisser le développement de l'Asie à la prochaine génération. L'Inde, aux dernières nouvelles, c'est encore en Asie. Et puis, le projet pouvait exiger «des investissements additionnels considérables, qu'on venait de décider de ne pas faire», se rappelle M. Laramée, sous les yeux de son chien Pompon, un chitsu qui a sa paillasse dans le bureau de son maître.

Plus important encore, le géant indien a demandé à CVTech d'assembler ses transmissions en Inde. Pour que ce soit rentable, le groupe de Drummondville veut avoir l'assurance qu'au moins 150 000 véhicules seront vendus avec sa transmission. Sinon, le risque est trop grand.

«Tant qu'on ne sera pas assurés d'avoir des commandes annuelles de 150 000, on ne part pas», insiste encore aujourd'hui M. Laramée. «Le but de ça, c'est toujours de créer de la richesse pour les actionnaires. Moi, aller me mettre les pieds là, sans savoir exactement quand, puis combien... C'est le genre de risques que je ne veux pas prendre, je me tiens loin de ça.»

La première Nano sans CVTech

Résultat, la Nano est actuellement en prévente, mais seulement le modèle manuel, dont les transmissions ne sont pas fabriquées par CVTech. Pour les transmissions automatiques, CVTech attend un engagement de la part de Tata sur le nombre de voitures qui seront produites avant de prendre sa décision. D'ici trois mois, espère le grand patron.

Pourquoi cet échéancier en forme d'ultimatum? Trois autres constructeurs autos ont annoncé leur intention de lancer une voiture à très faible coût, comme Tata. Il s'agit de Hyundai, Renault Nissan (avec Bajaj) et Mahindra Mahindra.

Deux d'entre eux ont déjà contacté CVTech. «On ne pourra peut-être pas tout faire en même temps...» Une façon de récupérer, en partie du moins, les quelque 2 millions investis en recherche pour développer deux modèles de transmission.

Une grosse année, donc, celle qui est en cours? Pas vraiment. C'est plutôt l'an prochain que les choses risquent de bouger. «Je pense que du côté du véhicule, la fin de l'année va peut-être être plus modeste qu'on le voudrait parce que ce sont des projets qui vont prendre de 12 à 18 mois à éclore.»

Des produits conçus ici

Contrairement à de nombreux autres manufacturiers, M. Laramée n'est pas entiché de l'Asie, cette lointaine contrée qui permet aux producteurs d'économiser sur les salaires. «Ça ne nous a jamais tentés», dit-il. Mais c'était une condition de Tata, non? «On ne fait pas de transfert de know how», rectifie-t-il.

Ça ne signifie pas que les concurrents qui font fabriquer leurs produits en Asie ne lui ont pas fait peur à un moment donné. Quand la société a décidé de s'inscrire en Bourse, en 2005, elle a perdu son plus important contrat, celui qui la liait à Bombardier Produits récréatifs. Une affaire d'environ 14 millions sur deux ans.

«Ce qui me préoccupait beaucoup à l'époque, c'était de voir beaucoup de manufacturiers qui valsaient allègrement leur production d'un pays à l'autre, supposément dans le but de réduire leurs coûts de main-d'oeuvre. Et ils mettaient énormément de pression sur certains fournisseurs...»

Les dirigeants de CVTech ont donc frémi et se sont dit qu'il était temps de songer à une diversification. Secteur trouvé: l'électricité. Oui, l'électricité. La logique: «On ne va pas prendre une ligne de transport qui existe ici pour l'envoyer se faire réparer en Asie et la ramener ensuite. C'est fait ici, par des gens d'ici, pour des gens d'ici.»

Jusqu'à présent, CVTech a procédé à l'acquisition de deux sociétés dans le secteur et une troisième est en voie de finalisation. «Dans un monde idéal, on en ferait une par année.»

Bref, le chien Pompon risque d'attendre la retraite de son maître encore quelques années. «C'est mon chef de la sécurité», blague M. Laramée.

Et à voir dormir le chitsu sur la chaise dans le bureau, on a presque la frousse...

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LES PRINCIPAUX ACTIONNAIRES

Fonds de Solidarité FTQ .... 27%

Guy Aubert ........................ 17,1%

André Laramée .....................13%

Tontine Capital* ..................9,7%

Natcan ................................... 8,1%

* Comprend les participation de Tontine Capital Partners et Tontine Capital Overseas Master Fund.

Source: Groupe CVTech