Philippe Couillard s'était engagé à offrir des débouchés en Chine aux producteurs de boeuf et d'agneau québécois, mais près de six mois plus tard, rien n'a été fait.

L'État du Shandong, le partenaire du Québec en Chine, lui avait fait part de ses besoins en boeuf et en agneau, lors de sa mission dans ce pays en octobre dernier, et le premier ministre avait clairement manifesté l'intention de relayer l'information aux producteurs d'ici.

Mais son engagement est resté lettre morte. Les deux fédérations de producteurs, celle de bovins, et celle d'agneaux et de moutons, n'en ont jamais entendu parler. Personne au gouvernement n'est entré en contact avec elles.

Dans une entrevue accordée à La Presse Canadienne, les représentants des deux associations agricoles ont indiqué qu'elles seraient pourtant intéressées par le marché chinois.

Après plus d'une semaine de demandes répétées, le ministère de l'Agriculture (MAPAQ) n'a pour sa part pas répondu aux questions de La Presse Canadienne sur les suites données aux engagements pris par le premier ministre. Le cabinet du ministre de l'Agriculture n'avait pas donné suite non plus à notre demande de renseignements. Cependant, le ministre de l'Agriculture, Pierre Paradis, a tenu à apporter des précisions dimanche soir lors d'une entrevue.

Rappelons que c'est au cours d'un tête-à-tête très officiel le 28 octobre avec le premier ministre que le puissant gouverneur de la province de Shandong, Guo Shuqing, avait indiqué qu'il serait intéressé par l'importation de boeuf et d'agneau.

En point de presse après la rencontre, M. Couillard avait fait savoir que ce n'était pas tombé dans l'oreille d'un sourd. «Je retiens de M. le gouverneur les besoins dans la filière bovine, (...), et l'agneau, avait-il déclaré. On a des producteurs d'agneau et je pense que cela va les intéresser de savoir qu'il y a ces besoins-là.»

À la Fédération des producteurs de bovins, c'était l'étonnement. Même cinq mois après la mission, on n'était pas du tout au courant.

«Non, pas du tout, c'est vous qui nous l'apprenez», a dit l'agente des communications de cette fédération, Sonia Dumont, dans une entrevue téléphonique récente.

Quant à savoir s'il pouvait y avoir de l'intérêt de la part des producteurs bovins, la réponse est sans équivoque. «Tout débouché peut être intéressant, sûrement. On ne peut pas être contre la vertu. Encore faut-il voir ce qui encadrerait ce genre de marché, les volumes impliqués, les spécifications, à quel prix, etc. Le plus difficile dans le boeuf, c'est de vendre l'ensemble de la carcasse.»

Mme Dumont a laissé entendre que la fédération «est toujours disponible pour discuter et pour voir les avenues potentielles».

La Fédération des producteurs d'agneaux et de moutons n'a pas non plus été mise dans le coup, a affirmé sa directrice, Amina Baba-Khelil. Mais sa situation est complexe. Les producteurs d'ici n'arrivent même pas à répondre à la moitié des besoins du marché québécois et sont de «petits joueurs» sur la scène mondiale, a-t-elle expliqué dans une entrevue téléphonique.

L'exportation, «c'est un rêve, mais il faut être réaliste», a-t-elle affirmé.

Les producteurs d'agneau voient néanmoins un marché potentiel en Chine. Les bêtes produisent une laine qui est «fortement demandée» par les Chinois, a soutenu Mme Baba-Khelil, et par ailleurs, il pourrait y avoir un débouché pour le «cinquième quartier», c'est-à-dire tous les abats.

«Ils ne sont pas populaires ici, nos acheteurs nous disent qu'il n'y a pas de marché. Mais là-bas, ça se mange. Cela pourrait peut-être être valorisé. Cela serait un débouché intéressant pour nous», a-t-elle dit.

En entrevue téléphonique dimanche soir, le ministre de l'Agriculture, Pierre Paradis, a tenu à préciser qu'il avait reçu un appel téléphonique du chef de cabinet du premier ministre, après la mission en Chine, à propos de l'intérêt de ce pays pour le boeuf et l'agneau.

«On est tombés dans une mauvaise conjoncture», a-t-il toutefois ajouté. En effet, des obstacles se dressent encore avant de pouvoir faire aboutir ce projet. Dans la filière bovine, il fallait notamment régler la liquidation de l'abattoir Colbex-Levinoff, ce qui est en voie d'être complété, a-t-il indiqué. Et par ailleurs, il faut aussi développer une «meilleure génétique» avant de s'attaquer à la Chine, selon lui, avec des «produits de niche».

Pour l'agneau, «on part de plus loin», et il faudra entre autres s'attaquer à la capacité d'abattage, avec notamment un abattoir fédéral, avant de pouvoir songer à l'exportation.

Lors de sa mission en Chine, Philippe Couillard avait essuyé un revers en tentant de hausser les exportations de porc et de faciliter l'accès à ce marché. Le gouverneur du Shandong, Guo Shuqing, avait répliqué en soulignant que la Chine est un producteur de porc important, et que les principales régions de la province de Shandong fournissent assez de porc.

On avait aussi fait comprendre à M. Couillard qu'il ne cognait pas à la bonne porte, puisque c'est le gouvernement central de Pékin qui décide de l'importation de porc.

Les producteurs de porc du Québec exportent déjà pour 150 millions $ en Chine, sur des ventes totales de 1,5 milliard $ à l'étranger. On envoie principalement des os, des pattes et des têtes en Chine, mais la Fédération des producteurs de porcs du Québec souhaite envoyer des parties plus nobles, tels les filets, les fesses et les longes.

Le Shandong est un partenaire du Québec depuis 2002-2003. Les deux États sont fondateurs du groupe des Régions partenaires. La province compte 97 millions d'habitants. C'est la troisième province la plus riche de Chine, avec un produit intérieur brut de 947 milliards $.

Son gouverneur est un personnage influent. Guo Shuqing est pressenti comme un candidat sérieux à la vice-présidence de la Chine au cours de la prochaine transition, en 2018-2019.