L'Américaine Chiquita Brands, héritière de l'entreprise qui a donné naissance à l'expression de république bananière, va passer aux mains de deux milliardaires sud-américains, les Brésiliens Cutrale et Safra, après trois mois de résistance acharnée.

Chiquita a abandonné vendredi son fiancé irlandais, le groupe Fyffes, pour succomber pendant le week-end au duo brésilien qui a mis 681 millions de dollars en argent liquide dans la corbeille, soit une valorisation totale du géant américain de 1,3 milliard en incluant la dette.

Les trois partenaires ont annoncé lundi matin la signature d'un accord en vertu duquel Chiquita Brands va devenir une filiale des Brésiliens avec son siège dans le New Jersey. Le groupe américain emploie environ 20 000 personnes et opère dans près de 70 pays.

Chiquita, qui a réalisé un chiffre d'affaires de plus de 3 milliards de dollars l'an dernier, fait partie avec ses compatriotes Fresh Del Monte et Dole Food du petit groupe d'entreprises qui ont longtemps dominé le marché mondial de la banane, mais dont la position est de plus en plus grignotée.

Si ce trio conserve un rôle significatif dans le commerce mondial, sa part de marché est tombée en 30 ans à 36,6 % des échanges contre «près des deux tiers (65,3 %)» dans les années 80, selon un récent rapport l'Organisation des Nations unies pour l'Agriculture et l'Alimentation (FAO).

Surtout, leur influence géopolitique dans les pays d'Amérique centrale a bien diminué. Révélations, scandales et procès ont même poussé en 1989 la firme United Fruit (Ufco) à adopter le nom d'une de ses marques, Chiquita Brands, pour tenter de redorer son image.

République bananière 

Dès 1904, la multinationale Ufco inspire l'expression république bananière à l'écrivain américain O. Henry - pseudonyme de William Sydney Porter - pour décrire la domination des géants américains de la banane devenus Etats dans l'État. Expression entrée dans le dictionnaire pour décrire un État apparemment démocratique, mais régi par des intérêts privés.

Corruption, coup d'État avec la CIA américaine au Guatemala en 1954, soutien de dictatures, United Fruit est également cité dans le financement de l'opération de la Baie des cochons en 1961 pour renverser Fidel Castro ou encore pour avoir eu des liens avec des paramilitaires en Colombie. Créée en 1899, «la pieuvre» de son surnom a joué de son influence pendant des décennies et compté d'anciens de la CIA dans sa direction.

Pourvue de sa nouvelle image, incarnée par la souriante miss Chiquita dessinée en jaune sur un fond bleu sur les étiquettes, le géant américain est désormais présent sur le marché de l'ananas, des salades et d'encas à base de fruits et légumes.

De son côté, Cutrale Group est connu pour ses jus d'orange et Safra Group est une société d'investissements gérant 200 milliards de dollars d'actifs.

Le duo brésilien compte retirer Chiquita de la cote et espère finaliser l'opération d'ici début 2015.

Dans le détail, ils ont offert 14,50 dollars par titre représente une prime de 33,8 % sur le cours de clôture de la société américaine le 7 mars, veille de l'annonce des fiançailles avec Fyffes. À Wall Street, l'action Chiquita prenait 1,20 % à 14,33 dollars dans les premiers échanges, approchant du prix offert.

«Cette opération démontre la détermination du conseil d'administration à produire de meilleurs retours sur investissements aux actionnaires», a déclaré le directeur général de Chiquita, Ed Lonergan. Le conseil a toutefois dû se plier à la volonté des actionnaires qui ont préféré l'offre brésilienne à celle de Fyffes, après maints rebondissements.

La fusion Chiquita-Fyffes - qui devait donner naissance au numéro un mondial de la banane (18,7 % de part de marché mondial) - devait surtout permettre au groupe américain de s'installer en Irlande, pour bénéficier d'un taux d'imposition plus favorable qu'aux États-Unis.

Mais l'administration Obama a annoncé récemment une série de mesures pour compliquer l'exil fiscal des multinationales américaines, qui ont fait capoter d'autres rapprochements.

Cutrale et Safra avaient décidé de contrecarrer les plans entre Chiquita et Fyffes en août avec une contre-offre surprise au prix initial de 13 dollars par action.

Cette surenchère avait forcé les «fiancés» d'alors à modifier leur projet fin septembre. Mais les Brésiliens sont revenus à la charge offrant 14 dollars, puis 14,50 dollars.