Comme le soupçonnaient d'ex-employés et des créanciers de Grains Lac Supérieur (GLS), aujourd'hui au bord de la faillite, l'analyse de ses états financiers révèle des «irrégularités comptables commises au cours des dernières années». La valeur des stocks de grain «avait possiblement été falsifiée, et ce, de façon importante», affirme le cabinet comptable PwC dans un document obtenu par La Presse Affaires. Une situation qui a «entraîné des dommages collatéraux importants». Les derniers états financiers de GLS faisaient état d'un chiffre d'affaires de 152 millions et d'un bénéfice avant impôts de 1,7 million. Mais ce n'était pas exact.

Fin abrupte des activités

GLS est l'une des plus importantes entreprises du Québec spécialisées dans l'achat et la vente de grains. À la mi-décembre, elle a subitement cessé ses activités.

À l'automne 2013, la direction de GLS a été informée «d'irrégularités comptables commises au cours des dernières années», mentionne une requête rédigée par le cabinet d'avocats Fasken Martineau DuMoulin.

Le document ajoute que les informations financières transmises à Upper Lakes ces dernières années «n'étaient pas le reflet fidèle de la réalité». Et que le travail effectué par PwC a permis de constater que «la valeur des inventaires [...] communiquée au cours des années antérieures n'était pas le reflet de la réalité».

Dans son rapport, Dominic Picard, de PwC, affirme en effet que «la valeur des inventaires de GLS avait possiblement été falsifiée, et ce, de façon importante». Il ne détaille pas davantage les «irrégularités comptables» qu'il a découvertes.

Les états financiers de GLS n'étaient pas vérifiés par une firme externe, mais ceux de Soumat (à qui GLS se rapportait) l'étaient, a indiqué Dominic Picard à La Presse. Il n'a pas voulu dévoiler le nom du cabinet comptable qui effectuait le travail.

Le rapport de PwC n'explique pas de quelle manière les dirigeants d'Upper Lakes ont fini par apprendre que les chiffres inscrits dans les livres étaient inexacts. Et Dominic Picard n'a pas voulu nous donner plus de détails à ce sujet.

Le président d'Upper Lakes, Pat Loduca, a refusé de répondre à nos questions. Le président de GLS, Gilles Morin, qui continue de signer des documents légaux pour Upper Lakes, n'a pas été plus bavard. Quant au comptable de l'entreprise, Guy Bureau, il a cessé de travailler vers la fin de l'été. Il a refusé de nous expliquer les circonstances entourant son départ et de commenter les affirmations de PwC. Aucune plainte n'a été déposée contre lui à l'Ordre des comptables professionnels agréés du Québec.

Dominic Picard confirme qu'il n'y avait plus de comptable dans l'entreprise lorsqu'il a été embauché, en octobre, pour «faire la lumière» sur la situation. Cela a d'ailleurs rendu la compréhension du dossier plus ardue, a-t-il confié. Pour le moment, il n'a pas interrogé Guy Bureau. Son rôle actuel dans le dossier ne lui donne pas le pouvoir de le faire.

«Si je deviens syndic dans la faillite de GLS, c'est sûr que l'ancien comptable va être interrogé», affirme-t-il.

Il est intéressant de rappeler que l'été dernier, Upper Lakes Group tentait de vendre Soumat, un regroupement de quatre entreprises. Les plans ont changé quand «ils ont découvert que c'était une catastrophe financière», raconte Dominic Picard.

La Commission canadienne du blé (CCB) a fini par acheter les trois autres entreprises.

La transaction a été annoncée le 26 novembre et conclue le 31 décembre, soit quelques heures avant que GLS se place sous la protection de la Loi sur la faillite. La CCB n'a pas voulu préciser pour quelles raisons elle n'a pas acquis GLS, se contentant d'affirmer que cette entreprise n'était pas «dans sa ligne de mire».

Avis juridique demandé

Plutôt que de vendre GLS, Upper Lakes a décidé, «sur la base des informations qui lui étaient progressivement communiquées», de mettre fin aux activités de GLS, mentionne le rapport de PwC.

Ainsi, une semaine avant Noël, la quinzaine d'employés ont été remerciés. «On nous avait promis qu'on serait bien traités et que tout le monde serait payé, mais ça n'a pas été le cas. Pour les filles qui travaillaient là depuis 25 ans, ne pas avoir de préavis, ni de prime de séparation, c'est ordinaire», déplore un ex-employé. Comme six autres, il a porté plainte à la Commission des normes du travail.

Le dossier a été transféré au Programme du travail du Canada, puisque la vente de grains est de compétence fédérale.

Upper Lakes a cependant avancé la somme de 32 millions à sa filiale pour qu'elle rembourse son prêteur à court terme, la Banque Scotia (créancier garanti).

Ces avances ont été sécurisées par une hypothèque universelle visant tous les biens meubles et immeubles de GLS. La procédure a été enregistrée le 31 décembre, soit 48 heures avant que l'entreprise se place sous la protection de la Loi sur la faillite. Sur le coup, l'avocat d'un créancier à qui nous avions parlé s'interrogeait sur la légalité d'une telle manoeuvre.

Un mois plus tard, PwC précise qu'il «entend obtenir une opinion légale sur la validité et l'opposabilité de ces garanties à brève échéance».

La valeur des actifs de GLS est estimée à 5,8 millions, de sorte qu'Upper Lakes pourrait perdre une vingtaine de millions dans cette affaire, calcule Dominic Picard.

Exclusivité à La Coop fédérée

Le sort du Centre de distribution de Sillery, une coentreprise détenue par GLS et La Coop fédérée, sera connu sous peu. Installée sur le boulevard Champlain près de la côte Gilmour, l'entreprise emploie une dizaine de personnes.

Au début du mois de décembre, la coopérative a obtenu l'exclusivité pour l'acquisition «de certains actifs, dont l'investissement dans la coentreprise», apprend-on dans le rapport de PwC.

Toujours en décembre, GLS a négocié avec La Coop fédérée pour lui vendre ses «inventaires de grains résiduels». Au total, 4143 tonnes de blé, de maïs, d'orge et de drêche ont été «vendues et acquittées» pour la somme de 1,1 million. Mais en raison des saisies avant jugement pratiquées par certains créanciers, la transaction n'a pu être «entièrement conclue», note PwC.

Selon Dominic Picard, ces démarches ne sont pas inhabituelles, mais il rappelle que toute transaction effectuée dans les trois mois précédant le dépôt d'un avis d'intention (le 2 janvier) peut être contestée.

L'exclusivité venait à échéance le 15 janvier. Le jour même, La Coop fédérée a indiqué son intention de déposer une offre de rachat de la quote-part de GLS. Le montant offert n'a pas été divulgué. Le tribunal devra donner son aval pour que la transaction soit conclue.

Contestations

En vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, GLS devait faire une proposition à ses créanciers avant le 3 février. Mais une demande pour prolonger le délai jusqu'au 20 mars a été déposée en Cour supérieure à la fin de janvier.

L'entreprise réclame plus de temps pour «mettre en place un processus de vente structuré pour les actifs résiduels» qui comprennent deux silos construits l'été dernier au port de Salaberry-de-Valleyfield, un terrain et un entrepôt à Pintendre et un centre de distribution au port d'Oshawa, entre autres.

Selon nos informations, quatre créanciers vont contester cette demande. Si le juge se range de leur côté, GLS se retrouvera en faillite. L'audition aura lieu ce matin au palais de justice de Trois-Rivières.

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Clients et fournisseurs ont été pris au dépourvu

Quelques jours avant de cesser ses activités GLS avait acheté des milliers de tonnes de soya valant 18 millions de dollars à des meuniers québécois qui n'ont pas été payés. Tout ce grain avait quitté le Québec à bord de navires. «Je n'en reviens pas... Cette entreprise était un leader. Et là, on mange la moitié de notre année dans cette histoire», a commenté un meunier qui entretenait une excellente relation d'affaires avec GLS depuis trois décennies.

Des millions en créances

D'autres meuneries n'ont jamais reçu le grain qu'elles avaient acheté. C'est le cas de la famille Robitaille, en Montérégie. Les créances de ses 4 entreprises frôlent les 3 millions de dollars.

Deux semaines après avoir mis la clé sous la porte, le 2 janvier, GLS s'est placée sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. Elle doit 37 millions à ses créanciers.

GLS appartient à Soumat, de Winnipeg, elle-même la propriété de l'ontarienne Upper Lakes Group (ULG). Cette dernière est connue pour avoir été propriétaire du chantier maritime Davie, à Lévis, en 2011 et en 2012.

«Au fil des ans, les informations financières qui émanaient de GLS vers le siège social de Soumat à Winnipeg, et ultimement vers Upper Lakes, indiquaient que GLS était une entreprise rentable», peut-on lire dans le premier rapport présenté à la Cour par PricewaterhouseCoopers (PwC).