Plus de la moitié (53%) des porcs québécois reçoivent un antibiotique comme facteur de croissance dans au moins un de leurs aliments en période d'engraissement, selon une enquête d'Épidémio-Qualité. Pour contrer la montée des bactéries résistantes, cette pratique est interdite au Danemark, depuis 2000. Cela n'empêche pas le petit royaume d'être l'un des plus grands exportateurs de viande porcine du monde, avec 2,071 millions de tonnes exportées en 2011.

«Même sans antibiotiques comme promoteurs de croissance, la production porcine danoise est compétitive sur le marché international», assure Frank Aarestrup, directeur du centre collaborateur de l'Organisation mondiale de la santé sur la résistance antimicrobienne dans les pathogènes alimentaires, rencontré à son bureau au Danemark. «La preuve, c'est qu'on exporte 90% de notre production.»

Fait remarquable, la consommation totale d'antimicrobiens a été réduite de moitié au Danemark: elle est passée de 100 mg à 49 mg par kilogramme de viande porcine produite, entre 1992 et 2008. Quant à la production, elle a bondi au cours de la même période (de 18,4 à 27,1 millions de porcs produits par an), comme le nombre moyen de porcelets sevrés par truie (de 21 à 25 par an).

Utilisés comme facteurs de croissance depuis les années 60, les antibiotiques permettraient d'améliorer de 3 à 5% le gain de poids moyen et l'efficacité alimentaire des porcs. Un bénéfice surtout observé dans des troupeaux contaminés par diverses bactéries et virus, et qui est moindre chez les porcs en santé.

Cet emploi des antibiotiques n'est généralement pas jugé judicieux. «Il fait appel à des doses thérapeutiques employées durant de longues périodes [donc susceptibles de favoriser l'antibiorésistance]» et «vise de grands groupes d'animaux indépendamment de leurs besoins en antibiotiques [statut sanitaire]», lit-on dans un récent rapport de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ).

Par la bande, ces petites doses d'antibiotiques ont l'avantage de prévenir les maladies. «Après le retrait des facteurs de croissance au Danemark, les taux de mortalité ont augmenté à court terme, reconnaît M. Aarestrup. Mais les fermiers ont pris des initiatives qui les ont fait redescendre.»

Plus d'hygiène

Søren Andersen, éleveur de porcs du nord du Danemark, se souvient des problèmes de diarrhée d'abord vécus chez ses porcelets privés d'antibiotiques. «On les prévient maintenant en leur donnant du zinc, de la levure et de l'argile», dit-il.

Les effets du retrait des facteurs de croissance au Danemark «ont pu être atténués par une modification des pratiques d'élevage», confirme l'INSPQ. Meilleure sélection génétique, modification de la diète, augmentation de l'espace alloué par porc et sevrage plus tardif font partie de la recette gagnante.

«Les producteurs ont commencé à se servir de leur tête, résume Christian Koustrup Frandsen, agronome au Centre de recherche porcine du Danemark. Ils préparent mieux la période critique du sevrage des porcelets et accordent énormément d'importance à l'hygiène.»

Carton jaune aux éleveurs qui exagèrent

Tout n'est pas rose: la quantité d'antibiotiques donnés aux porcs à des fins thérapeutiques a augmenté au Danemark, au cours des années 2000. Pour inverser la tendance, la Danish Veterinary and Food Administration remet des cartons jaunes aux fermes dont la consommation d'antibiotiques par porc est disproportionnellement élevée, depuis décembre 2010.

Ça marche: un déclin significatif de 30% du volume d'antibiotiques utilisé par porc a été enregistré au Danemark en 2011, comparativement à l'année précédente. «On pense aux humains: on veut que les antibiotiques restent efficaces dans le futur», dit M. Andersen. «On veut pouvoir continuer de traiter les cochons malades avec des antibiotiques et que ça marche», ajoute M. Frandsen.

Au Québec - autre grand exportateur de porc -, le ministère de l'Agriculture (MAPAQ) ignore combien d'antibiotiques sont donnés aux animaux d'élevage. Un projet de monitorage de l'utilisation vétérinaire des antibiotiques a été annoncé l'an dernier, mais il n'a pas encore vu le jour.

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300

Aux États-Unis, 300 mg d'antibiotiques sont donnés aux animaux pour chaque kilogramme de viande.

40

Au Danemark, 40 mg d'antibiotiques sont donnés aux animaux pour chaque kilogramme de viande.

Pour produire 1 kg de viande, les Danois utilisent donc 7,5 fois moins d'antibiotiques que les Américains.

Sources : Danish Agriculture & Food Council et Frank Aarestrup