Matane a été approchée par cinq investisseurs anonymes qui rêvent tous de s'installer dans la petite ville gaspésienne pour transformer une ancienne cartonnerie en mine de bitcoins.

Ces investisseurs ont contacté Matane au moyen d'intermédiaires et restent pour l'instant anonymes. Impossible, donc, de savoir si des groupes chinois sont dans la course.

« Les gens qu'on rencontre ont été embauchés par les promoteurs. Ils sont très discrets, car c'est un milieu hyper compétitif », explique le maire, Jérôme Landry, qui est toutefois inquiet de voir qu'Hydro-Québec envisage de hausser les tarifs d'électricité pour cette filière hautement énergivore.

Deux de ces entrepreneurs ont même visité Matane et l'ancienne usine RockTenn. Ils souhaitent installer des centaines d'ordinateurs conçus spécialement pour miner des cryptodevises, dont le bitcoin. « Ils trouvent le site drôlement intéressant », explique le maire.

Le bitcoin, une monnaie virtuelle, ne relève d'aucune institution. Ses transactions sont donc colligées dans une espèce de grand livre commun - la chaîne de blocs, ou blockchain. Elles exigent la réalisation de calculs complexes qui demandent une myriade de processeurs.

Les mines de bitcoins sont donc des entrepôts d'ordinateurs qui réalisent ces calculs à longueur de journée. Quand un mineur sur la planète résout une « énigme », ce qui arrive toutes les dix minutes, il touche 12,5 bitcoins. Un bitcoin valait environ 12 800 $ jeudi au moment d'écrire ces lignes.

Ce système a donc donné naissance à une énorme industrie lucrative, qui a connu un grand bouleversement cet hiver. En janvier, le gouvernement chinois a publié une directive qui vise à chasser graduellement cette industrie de son sol, notamment en haussant les tarifs d'électricité.

Depuis, les mineurs ont les yeux tournés vers le Québec, perçu comme une terre particulièrement propice pour cette industrie, grâce au faible coût de son électricité et à son climat froid. Hydro-Québec confirme avoir reçu une centaine de demandes pour des projets de mines de cryptomonnaie. Certaines de ces « mines » pourraient consommer de 200 à 300 mégawatts.

« Pour donner une idée, le Centre Bell consomme cinq mégawatts. Et là, on a des demandes de 200, 300 mégawatts. Si ces projets se concrétisent, ce sera parmi les 20 plus grands clients au Québec. »

- Marc-Antoine Pouliot, porte-parole d'Hydro-Québec

GRANDE RÉFLEXION D'HYDRO-QUÉBEC

L'ancienne cartonnerie de Matane ne sert à rien depuis sa fermeture en 2012. Le maire de la municipalité évoque la possibilité qu'un entrepreneur en cryptomonnaie rachète carrément l'usine, enlevant une épine du pied de la Ville.

Sauf que Jérôme Landry s'inquiète de la position d'Hydro-Québec sur cette industrie. Pour l'instant, seules cinq « cryptomines » sont en activité au Québec. La société d'État attend avant d'ouvrir les vannes. Elle a entamé une réflexion sur la manière de gérer « cette demande exceptionnelle ». Elle étudie actuellement l'option de hausser les tarifs d'électricité pour les mines de cryptomonnaie.

« Le minage a un potentiel extrêmement intéressant. Mais en fonction du volume qu'on reçoit, on est en réflexion pour encadrer le développement de l'industrie pour maximiser les retombées pour le Québec », note M. Pouliot.

Le porte-parole d'Hydro-Québec admet par ailleurs que le délai pour le traitement des demandes pour le tarif LG - qui s'applique au secteur de la cryptomonnaie - est plus long qu'à l'habitude. « On l'a dit aux clients, on l'a dit aux intervenants du milieu, que ce soit les maires ou les intervenants économiques. Ça prend plus de temps, note-t-il. C'est une situation exceptionnelle. »

La position d'Hydro-Québec passe mal à Matane. Le maire reproche à la société d'État d'avoir mis la hache dans la filière éolienne - très importante pour l'économie de la ville - en citant des surplus d'électricité.

« Hydro a convaincu le gouvernement de mettre un stop à l'industrie éolienne sous prétexte qu'il y avait des surplus. Mais il n'y a pas tant de surplus que ça. On le voit là, ils craignent de ne pas pouvoir fournir ces projets de cryptomonnaie », dénonce Jérôme Landry.

« Hydro parle de projets d'expansion pour fournir de l'électricité ailleurs, alors qu'au Québec on a des entreprises qui veulent s'installer et qui se font répondre qu'on manque d'électricité, continue le maire. Donc on vend à l'étranger l'électricité qu'on n'a pas. C'est un peu aberrant. »

Hydro-Québec rejette cette analyse. Elle note que les mines de bitcoins demandent de l'énergie en permanence. « L'énergie éolienne ne répond pas aux besoins de la pointe parce qu'elle est intermittente. Dans la pointe de janvier, on ne peut pas avoir l'éolien comme source d'énergie, car c'est intermittent, dit Marc-Antoine Pouliot. Dans ce contexte, l'éolien ne constitue pas la solution. »

Matane est loin d'être la seule ville dans la ligne de mire des mineurs. L'entreprise québécoise Bitfarms, le plus grand acteur dans la province, a l'intention d'ouvrir un nouvel entrepôt d'ordinateurs à Baie-Comeau.

Photo Johanne Fournier, collaboration spéciale

Le maire de Matane, Jérôme Landry, en 2014