Alors que le CRTC doit refaire ses devoirs quant à savoir si la programmation originale de langue française est suffisamment protégée au petit écran québécois, les quatre groupes privés de télé francophones prévoient dépenser 47 millions de moins par an d'ici 2021-2022, selon leurs prévisions envoyées au CRTC.

Leurs budgets de productions originales en français en première diffusion passeront de 221,4 millions en 2016-2017 à 174,3 millions en 2021-2022, une diminution prévue de 21 %.

L'été dernier, le gouvernement Trudeau a demandé au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) de revoir sa décision sur les licences à propos de la protection accordée à la programmation originale de langue française en première diffusion. Certains intervenants craignaient que les chaînes de télé francophones diffusent davantage d'émissions doublées en français.

Dans sa première décision en mai, le CRTC avait décidé de continuer à ne pas réglementer cet aspect, faisant valoir que les séries doublées produites étaient un phénomène marginal. Les quatre groupes de médias s'opposent à ce que le CRTC annule sa décision malgré le message envoyé par le gouvernement Trudeau.

La majeure partie de la diminution prévue de 47 millions par an est attribuable aux prévisions de Bell Média : ses dépenses en contenu original francophone passeront de 65,7 millions en 2016-2017 à 34,3 millions en 2021-2022. Bell Média prévoit diminuer de 70 % à 50 % la proportion de son budget de contenu canadien qui sera consacrée à la programmation originale.

Bell Média ne possède pas de chaîne généraliste francophone, où les dépenses en programmation originale sont plus élevées qu'en télé spécialisée. RDS n'est pas incluse dans ces chiffres.

Bell Média prévient de ne pas « faire de lien direct entre [les] projections et [son] historique [de dépenses en programmation originale] ». « On devrait être jugé sur la base de notre performance historique [par exemple : de 68 % à 74 % entre 2013-2014 et 2015-2016], on est le plus grand contributeur en télé spécialisée au Québec », a dit Gerry Frappier, président de la télévision francophone de Bell Média.

BELL PLAIDE L'ASSOUPLISSEMENT ; STATU QUO CHEZ QUÉBECOR

Bell Média est le seul des trois principaux groupes de télé francophones à suggérer un seuil de dépenses en programmation originale de langue française, soit 50 % de ses dépenses en contenu canadien.

« Nous demandons un assouplissement des règles pour refléter un marché en profonde mutation », dit Gerry Frappier.

Bell Média craint qu'un seuil trop élevé fasse en sorte que certaines séries américaines se retrouveront en français sur des plateformes comme Netflix. « Ce serait se tirer dans le pied, dit Gerry Frappier. [...] Il faut reconnaître la demande naturelle du marché et le droit du téléspectateur de regarder du contenu dans sa langue. »

« Ma crainte, c'est un certain nombrilisme. Si on impose une réglementation trop sévère, les émissions américaines vont rentrer de toute façon, mais par d'autres portes [que la télé]. Tu ne peux pas empêcher les gens de regarder ce qu'ils veulent, mais au moins, on devrait permettre de conserver [ces émissions] dans l'écosystème. » - Gerry Frappier, président de la télévision francophone de Bell Média

De son côté, le Groupe TVA prévoit conserver son niveau de dépenses en contenu original de langue française : de 113,9 millions (86 % de ses dépenses en contenu canadien) en 2016-2017 à 115,5 millions (85 % de son contenu canadien) en 2021-2022. Il s'agit de chiffres pour l'ensemble de ses chaînes de télé (sauf pour TVA Sports et LCN).

Uniquement pour ses chaînes spécialisées, le Groupe TVA prévoit consacrer 34 % de ses dépenses en contenu canadien à de la programmation originale de langue française. Québecor et le Groupe TVA n'ont pas répondu hier à nos questions.

DES PRÉVISIONS PRUDENTES

Une partie de la diminution prévue de 47 millions par an des dépenses en programmation originale est attribuable à la baisse de revenus prévue par les groupes télé.

À titre d'exemple, le Groupe V Média augmentera légèrement son ratio de contenu canadien consacré de la programmation originale de langue française, mais prévoit dépenser environ 12,5 millions de moins par an d'ici 2021-2022 en raison de la baisse de ses revenus.

Le Groupe V Média apporte toutefois un bémol. « Il s'agit de projections. [...] On y va de façon très conservatrice, [les sommes réelles dépensées seront] probablement plus importantes que ça », a précisé Dimitri Gourdin, vice-président exécutif, stratégie et communications, du Groupe V Média.

Quant à Corus, l'entreprise veut vendre ses chaînes Séries+ et Historia à Bell. La transaction doit être approuvée par le CRTC. Pour l'instant, Corus a soumis des prévisions où les deux chaînes réduiraient d'environ 50 % la somme investie en programmation originale de langue française (de 9,5 millions en 2016-2017 à 4,5 millions en 2021-2022).

L'Association québécoise de production médiatique (AQPM), qui représente les producteurs, a suggéré l'an dernier de fixer une condition de licence forçant les groupes à faire au moins 75 % de leurs dépenses en contenu canadien sur des émissions originales francophones en première diffusion. Les autres dépenses en contenu canadien sont des émissions étrangères ou canadiennes doublées, ou des émissions francophones étrangères. L'AQPM n'était pas en mesure hier de commenter le dossier.