Les quatre groupes de télé francophones prévoient diminuer leurs dépenses en programmation canadienne de 22,1 millions par année d'ici 2021, selon leurs documents produits pour le CRTC dans le cadre du renouvellement de leurs licences.

Ces prévisions inquiètent l'Association québécoise de production médiatique (AQPM), qui qualifie la situation de « dramatique ». « C'est l'avenir de la production et de ses artisans qui est touché », dit Hélène Messier, PDG de l'AQPM, qui représente les producteurs télé.

Des quatre groupes de télévision, le Groupe TVA est celui qui prévoit la plus grande diminution de ses budgets de programmation canadienne, soit une baisse de 17,4 millions par an, essentiellement à la télé généraliste de TVA.

Le Groupe V Média prévoit aussi diminuer son budget en contenu canadien de 14,1 millions par an, tandis que tandis que Bell Média (+ 4,1 millions) et Corus (+ 5,3 millions) augmenteront légèrement leurs dépenses en émissions canadiennes, qui comprennent notamment des séries dramatiques, des comédies, des émissions de variétés, des documentaires et des émissions d'actualité.

Le Groupe TVA prévoit passer d'un budget de programmation canadienne de 140 millions par an en moyenne entre 2013 et 2015 à un budget de 122,6 millions pour la période 2018-2022. En renouvelant la licence du Groupe TVA en mai dernier, le CRTC a exigé que l'entreprise investisse 110,9 millions par an pour la période 2018-2021, soit une baisse de 5,5 millions par rapport à l'exigence de 116,4 millions par an pour la période 2013-2015. Les conditions de licence en contenu canadien sont calculées en fonction des revenus des chaînes l'année précédente (ex. : 45 % des revenus pour le Groupe TVA).

En point de presse durant les audiences du CRTC l'automne dernier, la présidente et chef de la direction du Groupe TVA Julie Tremblay avait dit que « ce n'est pas [notre] souhait » de réduire les dépenses en émissions canadiennes. « Nous n'avons aucune intention de diminuer le pourcentage des revenus que nous investissons dans le contenu canadien », a indiqué hier le Groupe TVA par courriel. 

BAISSE DE 14 % SUR CINQ ANS À TVA

Selon le CRTC, le Groupe TVA consacrait 50,3 % de ses revenus au contenu canadien en 2013-2015 et prévoit y consacrer 49,8 % de ses revenus en 2018-2021.

Le Groupe TVA prévoit surtout diminuer ses dépenses en émissions canadiennes sur sa chaîne généraliste TVA, qui étaient de 112,2 millions en 2015-2016 et devraient désormais atteindre 96,8 millions en 2020-2021. Il s'agit d'une baisse de 14 % sur cinq ans. Les chaînes spécialisées du Groupe TVA devraient voir leur budget en contenu canadien augmenter de 6 % (+ 1,16 million). TVA Sports et LCN ne sont pas incluses dans ces calculs.

« Notre volonté est claire : les productions originales sont au coeur de la vision et de la stratégie de Québecor et de TVA, comme en font foi la gestion de contenu et l'exploitation multiplateforme mise en place il y a quatre ans en créant Québecor Contenu. [...] À titre d'exemple, un projet comme Blue Moon n'aurait pas vu le jour sans la mise en place d'une telle stratégie. [...] Nos intentions actuelles sont de poursuivre avec cette stratégie qui porte fruit », a indiqué par écrit Véronique Mercier, vice-présidente aux communications du Groupe TVA.

Ces prévisions en dépenses de contenu canadien sont envoyées au CRTC dans le cadre du renouvellement des licences, afin que l'organisme réglementant le petit écran puisse évaluer et établir les conditions de licence des chaînes. Les chaînes de télé ne sont pas tenues de respecter ces prévisions, mais elles sont tenues de respecter le seuil minimal établi par le CRTC dans leur licence. Le CRTC a renouvelé les licences des quatre grands groupes télé francophones à la mi-mai.

DIMINUTION AUSSI CHEZ V

Le Groupe V Média prévoit une diminution importante de ses dépenses en programmation canadienne : de 45 millions par an en 2013-2015 à 25,6 millions par an en 2018-2021. Le CRTC a toutefois imposé au Groupe V Média de dépenser environ 30,9 millions par an (35 % de ses revenus) en programmation canadienne en 2018-2021, soit 5,3 millions de plus que prévu.

« Nous sommes d'accord avec la décision, nous vivons bien avec ces conditions-là. Nous avons avantage à investir encore plus en production francophone si les revenus le permettent. Les revenus sont sous pression, il faut s'ajuster en fonction des revenus », dit Luc Doyon, vice-président exécutif et chef de l'exploitation du Groupe V Média, qui estime que le budget en contenu canadien sera d'environ 31 ou 32 millions par an avec les projections de revenus actuelles. L'entreprise envisage d'investir davantage dans ses deux chaînes spécialisées (MusiquePlus et Max) et moins dans sa chaîne généraliste V.

Le CRTC a aussi haussé les exigences réglementaires de programmation canadienne des chaînes francophones de Corus (Historia, Séries+, Télétoon, La chaîne Disney) de 11,7 millions par an à 13,5 millions par an, dont 7,8 millions en acquisition/production de contenu canadien. Corus prévoyait dépenser 11,6 millions par an entre 2018-2021. Le CRTC le force donc à dépenser 1,9 million supplémentaire par année.

EXIGENCES RÉGLEMENTAIRES À LA HAUSSE

Dans ce contexte, le président du CRTC Jean-Pierre Blais s'explique mal les critiques à l'égard de l'organisme réglementaire dans ce dossier. « Nous avons pris ces décisions pour les bonnes raisons. Je trouve dommage que le débat s'oriente sur des données qui, dans les faits, sont inexactes », a-t-il écrit hier dans une lettre ouverte aux médias.

Globalement, l'organisme réglementaire a fait passer les exigences en matière de contenu canadien des quatre groupes francophones (TVA, V, Bell, Corus) de 208,4 millions en 2013-2015 à 230,8 millions en 2018-2021. 

Le CRTC a diminué les exigences réglementaires du Groupe TVA (- 5,5 millions), alors qu'il a haussé celles de V Média (+ 23,9 millions), Bell Média (+ 2,2 millions) et Corus (+ 1,8 million). Pour 2013-2015, les exigences de V Média avaient toutefois été imposées dans le contexte où V/TQS avait été sous la protection de ses créanciers. En enlevant V Média de l'équation, les trois autres groupes médias francophones voient leurs exigences réglementaires en contenu canadien diminuer légèrement de 1,5 million.

« L'industrie de la télé a un problème de financement, dit Hélène Messier, PDG de l'AQPM. Le Fonds des médias canadiens a perdu 7 % de son budget cette année à cause de la diminution des câblodistributeurs. Plus les gens se désabonnent du câble, plus les sommes diminuent. C'est dramatique. Si en plus on diminue les dépenses des chaînes, c'est doublement dramatique. »