Le gouvernement du Québec a échoué dans sa tentative d'intéresser plusieurs entreprises à participer à un important appel d'offres pour l'exploitation de son Réseau national intégré de radiocommunication (RENIR). Résultat : le contrat pourrait coûter des dizaines de millions de plus aux contribuables.

Mis en place dans la foulée du déluge à Saguenay en 1996 et de la tempête de verglas de 1998, le RENIR dessert le ministère de la Sécurité publique, la Société de l'assurance automobile du Québec, le ministère des Transports, Revenu Québec, le ministère de l'Énergie et des Ressources naturelles ainsi que l'Agence des services frontaliers du Canada. Il est prévu que les services préhospitaliers d'urgence utiliseront pleinement le RENIR d'ici la fin de 2017 et la Sûreté du Québec, l'an prochain.

L'appel d'offres a été lancé en août dernier par le Centre de services partagés du Québec (CSPQ). L'organisme gouvernemental a longuement étudié les façons de stimuler la concurrence, procédant notamment, en 2013, à un « avis d'appel d'intérêt » auquel six entreprises ont répondu. Certaines d'entre elles ont suggéré de scinder l'appel d'offres en plusieurs segments, mais en vain.

Finalement, malgré deux reports de la date limite pour répondre à l'appel d'offres, le CSPQ n'a reçu qu'une seule soumission au début de décembre : celle d'un consortium composé de Motorola Solutions Canada et de Bell Canada. On ne sait pas encore combien le contrat coûtera au gouvernement, mais des concurrents assurent qu'ils auraient pu offrir leurs services pour moins cher.

« ANOMALIES »

« Airbus DS Communications était effectivement intéressée par l'appel d'offres au départ, a indiqué l'entreprise européenne dans un courriel. Mais après une étude approfondie des exigences de ce dernier, nous avons préféré ne pas y donner suite, étant donné qu'il semblait comporter certaines anomalies. » Airbus n'a pas souhaité les préciser.

Un autre acteur de l'industrie des télécommunications d'urgence, l'américain Harris, a souligné que préparer une soumission l'aurait obligé à consacrer beaucoup de temps et de ressources du fait qu'il n'est pas fournisseur du CSPQ à l'heure actuelle.

« Harris Corporation n'a pas soumissionné pour le projet de la province de Québec en raison de l'absence d'un délai adéquat pour permettre aux entreprises intéressées de répondre convenablement, a affirmé une porte-parole de l'entreprise, Pam Cowan, par courriel. [...] Le court échéancier a empêché la tenue d'un appel d'offres ouvert et a favorisé le fournisseur actuel [Motorola]. Malheureusement, fonctionner avec un fournisseur unique signifie que la province n'obtiendra pas le meilleur prix ni la technologie la plus innovatrice pour ce projet important. »

L'appel d'offres porte sur l'exploitation du RENIR pendant sept ans et comporte une possibilité de renouvellement pour trois années additionnelles. La valeur du contrat pourrait atteindre 250 millions pour les 10 ans.

FACTURE SALÉE

Le RENIR a fait la manchette à plusieurs reprises en raison de ses importants dépassements de coûts : le réseau a nécessité des investissements de plus de 322 millions alors qu'au moment de son annonce, en 2002, on prévoyait que la facture s'élèverait à 144 millions.

Comme le RENIR s'appuie sur les technologies de Motorola, le CSPQ accorde régulièrement des contrats de gré à gré à l'entreprise américaine. Depuis juin 2015, Motorola a reçu 48,7 millions pour des contrats liés au RENIR.

La Presse a contacté le CSPQ à plusieurs reprises au cours des derniers jours et n'a pas obtenu de réponses à ses questions. Motorola n'a pas voulu commenter le dossier.

« Bell est heureuse de continuer à travailler avec Motorola pour soutenir les opérations du gouvernement du Québec », a déclaré une porte-parole de l'entreprise montréalaise, Marie-Eve Francoeur.

En 2014, une enquête de la chaîne américaine de journaux McClatchy a montré que dans plusieurs régions des États-Unis, des fonctionnaires ont favorisé Motorola dans des appels d'offres, de sorte que l'entreprise détient environ 80 % du marché des télécommunications d'urgence dans le pays.

Motorola a avancé en 2012 que la Ville de Montréal a favorisé Airbus (l'entreprise s'appelait alors Cassadian Communications) en lui accordant un contrat de 42,6 millions pour la mise en place de son nouveau système de radiocommunication (baptisé SÉRAM). Mais après étude du dossier, la Ville a conclu à la conformité de l'appel d'offres en relevant qu'Airbus avait obtenu une meilleure note technique que Motorola tout en demandant 37 % de moins.

Du côté de Laval, la Ville a accordé à Motorola deux contrats totalisant 15,3 millions pour son système de radiocommunication au cours des 18 derniers mois. Dans le cas du deuxième, d'une valeur de 5 millions, trois entreprises se sont plaintes à la Ville que l'appel d'offres était « trop restrictif », a récemment rapporté Le Journal de Montréal.

LE RENIR EN BREF

Le RENIR est l'un des plus grands réseaux de sécurité publique en Amérique du Nord : il couvre pas moins de 560 900 km2. En plus des services de communications de groupe (walkies-talkies), le RENIR offre la transmission de données, l'enregistrement de la voix, le chiffrement et la géolocalisation. Il comprend notamment : 

9000 terminaux

Près de 1000 antennes

120 stations de transmission de données

Source : Centre de services partagés du Québec