Voici en version intégrale les cinq questions et les réponses des huit économistes en chef des institutions financières interrogés par La Presse+ pour le tour d'horizon des perspectives des banques centrales.

Le gouverneur de la Banque du Canada Stephen Poloz a exprimé un penchant pour assouplir davantage les conditions monétaires. Les institutions financières n'ont pas transmis au complet les deux baisses de taux de 2015. La Banque pourrait-elle opter pour une « opération Twist » ou une détente quantitative (DQ) à la canadienne, visant les obligations de 5 et 10 ans dont les taux ont beaucoup monté cet automne ?

Beata Caranci, économiste en chef, Banque TD

La Banque du Canada est encore loin de l'adoption de l'une ou l'autre de ces stratégies non conventionnelles. Deux conditions doivent préalablement être réunies. 1) L'économie et l'inflation devraient se révéler bien en deçà d'attentes déjà modestes ; 2) l'ampleur de l'écart par rapport à la prévision devrait être de l'ordre de celle provoquée par un choc négatif (c'est-à-dire une vraie récession).

François Dupuis, économiste en chef Desjardins

Il serait difficile pour la Banque du Canada de contrecarrer la tendance généralisée à la hausse des taux obligataires. Elle tentera plutôt d'affaiblir le huard en signalant qu'un resserrement monétaire n'est pas envisageable en 2017. Si nécessaire, une deuxième étape avant des mesures quantitatives serait une baisse des taux directeurs.

Sébastien Lavoie, économiste en chef, Valeurs mobilières Banque Laurentienne

Déjà aux prises avec un endettement frôlant 300 % du PIB, si la croissance de notre économie déçoit, des baisses du taux directeur ne seraient peut-être pas suffisantes. La Banque du Canada pourrait alors être tentée d'acheter des obligations fédérales pour contrer les pressions haussières sur les taux provenant des États-Unis.

Stéfane Marion, économiste en chef, Banque Nationale

Il faudrait des croissances économiques bien décevantes. L'écart de production est plus petit qu'estimé préalablement par la Banque, le taux de chômage se situe tout près de 6 % dans les trois plus grosses provinces. À elle seule, l'action de la Fed fera perdre des plumes au huard. Ce devrait être suffisant comme stimulant. Donc, pas de « manipulation » nécessaire sur la courbe des taux d'intérêt.

Jean-François Perrault, économiste en chef, Banque Scotia

Étant donné nos prévisions économiques et celles de la Banque du Canada, nous ne croyons pas au besoin de mesures additionnelles d'assouplissement monétaire. Dans la mesure où la croissance et l'inflation décevraient, la première réponse de la Banque du Canada viserait plutôt une baisse de son taux directeur.

Douglas Porter, économiste en chef, BMO marchés des capitaux

La Banque du Canada est probablement satisfaite du niveau actuel des taux d'intérêt et ne les changera sans doute pas en 2017. Toutefois, si les rendements obligataires augmentaient davantage (à cause des risques d'inflation aux États-Unis) et si l'économie canadienne faiblit davantage, il y aura possibilité d'un assouplissement - et la détente quantitative est une de ces possibilités. La Banque est une des rares banques centrales à n'avoir jamais recouru à la DQ, mais il ne faut jamais dire « jamais ».

Avery Shenfeld, économiste en chef, CIBC

C'est une possibilité, mais seulement après avoir tenté une baisse conventionnelle d'un quart de point. Plutôt que de choisir cette option, la Banque pourrait reprendre ce qu'elle appelle un « engagement conditionnel », en promettant de ne pas augmenter les taux d'intérêt durant une période déterminée, à moins de changements significatifs de certaines conditions. Cela aurait pour effet de tirer vers le bas les taux de deux à cinq ans sur lesquels la Banque se focalise. Et même les taux les plus longs (sur les échéances de 10 à 30 ans) qui sont moins importants au Canada qu'aux États-Unis puisque nous n'avons pas de prêts hypothécaires à long terme à taux fixe. C'est seulement si une baisse de taux et un engagement conditionnel échouent que la Banque pourrait recourir à la détente quantitative. Cela semble loin et une faible probabilité.

Craig Wright, économiste en chef RBC

Nous nous attendons à ce que la Banque du Canada garde le taux cible de financement à un jour à 0,5 % durant toute l'année. L'accélération de la croissance canadienne va rapprocher le taux d'inflation de 2 %. Il y aurait alors peu de nécessité pour la Banque de se montrer plus accommodante. La divergence entre sa politique et celle de la Fed va placer le dollar canadien sur la défensive en dépit du raffermissement des prix des biens de base.

L'arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche a été interprétée comme un facteur inflationniste. Est-ce que ça signifie que la Réserve fédérale devra accélérer la normalisation de son taux directeur et pourquoi ?

B.C. Un stimulus fiscal substantiel risque d'attiser les pressions inflationnistes, surtout dans une économie qui tourne presque à plein rendement. Si cela se produisait, la Réserve fédérale pourrait répliquer par des hausses de taux plus rapides. Cela dit, l'évolution de la politique fiscale reste bien incertaine puisque le Congrès est peu enclin aux dépenses déficitaires. En outre, la montée récente des taux obligataires et du dollar américain agit comme un resserrement monétaire, ce qui atténue les pressions inflationnistes.

F.D. L'inflation ne devrait pas trop s'accélérer à court terme puisqu'elle sera tempérée par l'appréciation du billet vert et la hausse des taux de long terme. Ainsi, la Fed pourra encore se montrer patiente en 2017. Cela dit, elle prévoit elle-même augmenter ses taux à trois reprises durant la nouvelle année.

S.L. Deux hausses du taux directeur en 2017 et l'appréciation du dollar devraient contribuer à tempérer les pressions inflationnistes. Plus de deux hausses pourraient contribuer à la déstabilisation de l'économie mondiale. Il est aussi difficile d'accélérer la normalisation des taux puisque le Congrès n'a pas encore acquiescé aux demandes de M. Trump.

S.M. Beaucoup d'incertitudes persistent, mais l'arrivée au pouvoir du nouveau président laisse croire que la politique budgétaire et les déréglementations élargiront le sentier de croissance de l'économie. Ceci dit, une accélération rapide de la normalisation de la politique monétaire est improbable, car la Fed doit composer avec un dollar ragaillardi.

J.-F.P. Nous anticipons quatre hausses de la Réserve fédérale d'ici la fin 2017, et ce, depuis plusieurs mois, en raison de la vigueur de la demande intérieure américaine. L'arrivée de M. Trump n'a pas encore changé notre perspective à ce sujet. Tout dépendra des politiques qu'il mettra en place. Il y a trop d'incertitude en ce moment pour bien identifier l'impact potentiel sur l'économie américaine et donc la politique monétaire américaine.

D.P. La Réserve fédérale va accélérer son processus de resserrement si, et seulement si, les politiques de Trump : (1) sont mises en application ; 2) renforcent la croissance ; et 3) nourrissent l'inflation. Il est possible que tout cela survienne, mais beaucoup de choses doivent se mettre en place avant que la Fed agisse conséquemment. Nous prévoyons deux hausses de taux en 2017.

A.S. Oui. Implicitement, la Fed affirme que deux années de croissance d'environ 2 % pousseront les États-Unis près du plein d'emploi et de sa cible de 2 % du taux d'inflation selon l'indice des dépenses personnelles de consommation. Cela est cohérent avec nos perspectives. Ainsi, tout stimulus fiscal visant à accélérer la croissance sera sans doute contrecarré par des augmentations plus marquées du taux directeur. Voilà essentiellement ce qu'a dit Mme Yellen.

C.W. La Fed va accélérer le rythme de son resserrement en 2017 après la hausse modeste de 25 centièmes durant chacune des deux dernières années. La croissance plus robuste, jumelée à l'augmentation des pressions inflationnistes, va lui forcer la main. Le risque haussier à la croissance, à l'inflation et au scénario de la Fed vient du potentiel lié au stimulus fiscal de la nouvelle administration.

La Banque centrale européenne a à la fois ralenti et prolongé son programme de détente quantitative (DQ). Quelles sont les conditions à réunir pour y mettre fin ?

B.C. La BCE a fait bien attention de qualifier d'« ajustement non récurrent » et non de « réduction progressive » (taper) la diminution de ses achats mensuels d'actifs à 60 milliards €. Avant de mettre fin à sa DQ, la BCE devra être convaincue que la zone euro croît à un rythme qui absorbera le gros des capacités excédentaires de manière à ramener le taux d'inflation à sa cible de 2 %. 

F.D. Au net, la décision de la BCE constitue une augmentation de la détente monétaire et laisse présager que le programme d'achat de titres sera prolongé en 2018. L'inflation devra certainement s'accélérer pour mettre un terme à ce programme. Les plus récentes prévisions de la BCE tablaient sur une inflation de 1,7 % en 2019, ce qui serait encore légèrement sous la cible. Une plus grande réduction du taux de chômage serait également souhaitable.

S.L. La BCE ne peut pas mettre fin à ses efforts en 2017. Sans son programme de DQ, l'économie serait en déflation. Pour mettre fin aux achats d'obligations, les gouvernements européens devront emboîter le pas au Canada (et peut-être bientôt aux États-Unis) en adoptant des mesures budgétaires beaucoup plus musclées.

S.M. La zone euro montre des signes encourageants en affichant des croissances au-delà de son potentiel, mais il reste beaucoup à faire. Les élections en France, en Allemagne et en Hollande pourraient mettre au pouvoir des gouvernements plus enclins à stimuler la croissance. La BCE pourrait donc avoir enfin un allier via la politique budgétaire pour contrer les forces déflationnistes. 

J.-F.P. L'objectif principal de la BCE est la stabilité des prix et une inflation annuelle au-dessous, mais proche de 2 %. Bien que nous, et la BCE, anticipions une montée importante de l'inflation en 2017, c'est une prévision qui incorpore les effets de la montée du prix du pétrole. L'inflation sous-jacente demeurera faible, et donc loin de l'objectif de la Banque. Nous sommes d'avis que le programme de DQ demeurera en place jusqu'à ce qu'il y ait davantage de signes que l'inflation sous-jacente approche de 2 %.

D.P. Avant que la BCE mette fin à sa DQ, elle aura sans doute besoin d'observer une autre année de croissance économique modeste, une baisse accrue du taux de chômage (tout juste inférieur à 10 % dans la zone euro) et un taux d'inflation qui approche les 2 %. Nous croyons pour notre part que tout cela surviendra en 2017, mais les risques politiques demeurent exceptionnellement élevés en Europe l'an prochain.

A.S. La BCE devrait mettre fin à son programme de DQ quand l'économie aura retrouvé assez d'élan pour renouer avec l'inflation à sa cible sur un horizon de deux ans. La BCE devrait chercher des signes que l'écart de production diminue (c'est-à-dire une chute du chômage, la diminution du nombre de capacités inutilisées et un taux d'inflation de base plus ferme) pour la guider afin de mettre fin à sa détente quantitative.

C.W. La BCE va rester accommodante durant toute l'année, dans l'attente des signaux de croissance économique et de dissipation des risques de déflation. On ne peut écarter davantage d'assouplissement, si les négociations sur le Brexit progressent peu, ce qui poserait un risque à l'économie et à l'euro, qui est déjà vulnérable.

La Banque d'Angleterre a réagi rapidement et énergiquement aux résultats-surprises du Brexit. Elle rejette l'idée d'un taux directeur négatif, mais a rencontré une certaine réticence quand elle a voulu racheter des obligations de 30 ans. Peut-elle encore intensifier sa détente quantitative (DQ) ? Sinon, quelles options lui reste-t-il ?

B.C. Si les conditions économiques du R.-U. devaient se détériorer plus que prévu, il y aura possibilité de plus de DQ. Cela se produirait toutefois de concert ou après une autre baisse du taux directeur qui l'amènerait près de zéro. La banque centrale va sans doute tolérer les effets à court terme de la montée des prix de l'énergie et de la dépréciation de la livre sur l'inflation.

F.D. La BoE dispose encore d'une faible marge de manoeuvre pour abaisser son taux directeur, actuellement à 0,25 %. Par la suite, la BoE pourrait encore augmenter sa cible de détention d'actifs, actuellement à 435 milliards £ pour les obligations gouvernementales et 10 milliards £ pour les obligations corporatives. Elle pourrait aussi miser sur des mesures de soutien au crédit, comme son programme Funding for Lending.

S.L. Le processus du Brexit, dont on ne connaît pas l'aboutissement, est associé à une incertitude de nature économique. Celle-ci est exacerbée par le comportement erratique de la livre sterling. Si les conditions économiques se détériorent plus rapidement que nous l'envisageons, des taux négatifs et un programme massif d'achat d'obligations sont envisageables.

S.M. Brexit douloureux ou pas ? Telle est la question pour cette banque centrale qui pourrait aussi avoir à composer avec une volatilité accrue de la livre sterling et une politique budgétaire expansionniste. Il n'y a pas de sentier préétabli pour la conduite de la politique monétaire anglaise en 2017.

J.-F.P. À 25 points de base, le taux directeur de la Banque d'Angleterre peut encore tomber sans être négatif. Nous ne croyons pas qu'il y ait un grand besoin d'assouplissement supplémentaire. À la limite, une baisse de 10-15 points de base est possible à la mi-2017, mais nous ne jugeons pas nécessaire une intensification de son programme de détente quantitative.

D.P. Il ne reste plus beaucoup d'options à la Banque susceptibles d'être efficaces. Elle a sans doute atteint les limites de la politique monétaire, comme on a pu l'observer dans d'autres économies (le Japon, notamment). Bien entendu, il est possible que le Royaume-Uni n'ait pas besoin de plus de détente monétaire, surtout s'il parvient à un cadre d'entente avec l'Union européenne sur le Brexit.

A.S. Elle peut accentuer les financements de programme de crédits qui stimulent les prêts bancaires.

C.W. Les négociations sur le Brexit représentent un risque clé pour le Royaume-Uni. Cela rendra l'économie vulnérable à une faiblesse persistante. La Banque gardera un penchant pour l'assouplissement. Si elle doit en donner, elle dispose de tout un arsenal bien que nous soupçonnions qu'une réduction du taux directeur soit sa première ligne de défense.

Que peut faire la Banque populaire de Chine pour consolider la relance de son économie sans attiser les tensions avec les États-Unis, qui l'accusent de manipuler sa monnaie ?

B.C. La croissance économique chinoise ralentit. Cela a des conséquences sur l'expansion régionale et mondiale tout en dépréciant la valeur du renminbi (yuan). La Banque populaire continuera de soutenir le système financier chinois, surtout durant une période où les autorités tentent de s'attaquer aux risques sur la stabilité financière. Les décideurs publics devraient se concentrer sur des réformes qui facilitent la transition de l'économie vers les services, qui limitent la répression financière et facilitent la mobilité de la main-d'oeuvre.

F.D. Ce sont surtout les déséquilibres du marché du crédit chinois qui devraient limiter le champ d'activité de la Banque populaire. La croissance économique s'est stabilisée en Chine et le ralentissement devrait s'opérer plus doucement, selon le souhait du gouvernement. Les risques y sont cependant nombreux. La Banque et les autorités gouvernementales resteront à l'affût. En outre, la Banque peut oeuvrer à limiter la volatilité de sa devise avec l'aide de ses réserves de change. Cela peut réduire grandement l'incertitude pour les exportateurs et les importateurs.

S.L. Les anticipations d'une dévaluation du yuan sont devenues des prophéties autoréalisatrices depuis août 2015. La solution consiste à procéder à une dévaluation ordonnée du yuan jusqu'au niveau où on anticipera une appréciation. La Chine possède d'immenses réserves de devises et un compte courant positif de change pour faciliter cette transition.

S.M. La consolidation de l'économie chinoise passe par la politique budgétaire plutôt que monétaire. En ce sens, nous sommes encouragés par l'orientation du stimulus budgétaire actuellement en cours (axé sur les dépenses en infrastructure) ainsi que les modifications en cours sur le système de pensions visant à rendre l'économie moins dépendante aux exportations. 

J.-F.P. L'économie chinoise se porte relativement bien. Nous notons que plusieurs indicateurs mensuels suggèrent une amélioration des perspectives économiques en deuxième moitié d'année. Si nécessaire, les autorités chinoises peuvent utiliser la politique fiscale pour appuyer l'économie sans attiser les tensions avec les États-Unis. Il est important de noter que les autorités chinoises visent à prévenir une dépréciation trop rapide de leur devise. La manipulation résulterait donc en une devise chinoise plus forte.

D.P. Tout comme en Europe, au Japon ou même en Grande-Bretagne, la réponse aux défis économiques de la Chine se trouve peut-être à l'extérieur de la politique monétaire. Les décideurs devront sans aucun doute s'attaquer plus énergiquement encore aux sorties de capitaux. Cela mettra en danger les réformes du compte capital dans le but d'éviter l'affaiblissement accru du yuan (et, conséquemment, des tensions commerciales accrues avec les États-Unis).

A.S. La Chine ne « manipule » pas sa monnaie pour l'affaiblir maintenant. Elle fait l'opposé : elle achète des yuans avec ses réserves de devises étrangères pour ralentir sa dépréciation. Elle doit aller plus loin pour améliorer la consommation intérieure, renforcer le filet de sécurité sociale afin que les ménages se sentent plus libres de dépenser que d'épargner, afin de se sevrer de sa dépendance excessive des dépenses de capitalisation, financées par de la dette ou des exportations.

C.W. La Chine va continuer de gérer un taux de croissance plus soutenable pour son économie en encourageant un rééquilibrage de la croissance vers le secteur de la consommation. Si des signaux de faiblesse apparaissent, les autorités ne manquent pas d'outils : baisse des taux d'intérêt, diminution des réserves requises, politique fiscale expansive.