Grâce à des chercheurs comme Yoshua Bengio, l'Université de Montréal (UdeM) a réussi à se hisser parmi les plus importants centres de recherche en intelligence artificielle (IA) au monde. Mais il est de plus en plus difficile de convaincre les chercheurs de rester à Montréal après leurs études.

Il y a quelques années, environ la moitié d'entre eux poursuivaient leur carrière dans la métropole. Aujourd'hui, c'est à peine 20 %, voire moins. Ce qui a changé ? Google, Facebook et les autres poids lourds de l'informatique ont commencé à investir massivement en IA et à proposer des emplois alléchants aux finissants.

« Ils se font offrir des postes mieux rémunérés que le mien, et je suis bien payé », affirme M. Bengio, qui est directeur de l'Institut des algorithmes d'apprentissage de Montréal (MILA).

Yoshua Bengio est l'un des pionniers de l'« apprentissage profond », une branche de l'IA qui vise à faire en sorte que les ordinateurs puissent « comprendre le monde par eux-mêmes ». Aujourd'hui, on parle de reconnaissance vocale et de résultats de recherche améliorés sur le web ; demain, il sera question de diagnostics médicaux facilités et de voitures autonomes.

« Si on devait arrêter la recherche fondamentale aujourd'hui, on en aurait pour cinq ou dix ans à nourrir le pipeline de nouveaux produits et applications. » - Yoshua Bengio

LA VALSE DES MILLIONS

Mais il n'est pas question de cesser la recherche, bien au contraire. L'UdeM a récemment créé l'Institut de valorisation des données (IVADO), qui regroupe le MILA ainsi que d'autres centres de recherche spécialisés dans des disciplines informatiques et mathématiques connexes.

L'IVADO a réussi à recueillir plus de 110 millions auprès d'entreprises comme Google, Facebook, General Electric, Hydro-Québec, la Société nationale des chemins de fer français, Air Canada, Gaz Métro, CAE, la Banque Nationale, Microsoft, Merck, IBM, la Caisse de dépôt et placement de même que Power Corporation, propriétaire de La Presse. D'ici la fin de l'été, l'IVADO espère obtenir 100 millions du fonds fédéral Apogée, qui relève du ministre de l'Innovation, Navdeep Bains.

La création de l'IVADO incitera probablement plus de chercheurs en IA à s'installer pour de bon à Montréal. Mais pour accroître substantiellement le taux de rétention, il faudra que les entreprises québécoises embauchent davantage dans le domaine. « Il y a encore beaucoup de frilosité, constate Yoshua Bengio. Trop souvent, les gens d'affaires veulent que ça rapporte à court terme et ce n'est pas toujours possible. »

Dans les pionniers de l'apprentissage profond, M. Bengio est le seul à ne pas avoir cédé aux chants des sirènes des nouveaux rois de l'IA : son homologue de Toronto est passé chez Google, celui de New York chez Facebook et celui de l'Université Stanford, en Californie, chez le géant chinois Baidu. « Ici, j'ai un levier incroyable, explique-t-il. J'aime avoir une liberté complète, que nos découvertes servent à tous et pas seulement à une entreprise en particulier. Et je suis bien au Québec. »