Reviendra, reviendra pas ? La démission de Pierre Karl Péladeau de la direction du Parti québécois a causé toute une surprise - et une certaine commotion - chez Québecor, hier. Plusieurs croient que l'actionnaire de contrôle tentera de retourner à la barre du conglomérat, ce que Québecor a refusé de confirmer ou d'infirmer.

Pendant une brève conférence de presse sous le signe de l'émotion, M. Péladeau s'est dit forcé de « faire un choix » entre sa famille et son projet politique. Cette annonce a créé l'émoi chez Québecor, dont M. Péladeau détient encore 74 % des droits de vote. « Je l'ai appris en même temps que tout le monde, a indiqué une source de haut niveau qui a requis l'anonymat. Nous sommes encore sous le choc de la nouvelle. »

Saisis eux aussi, les investisseurs de Québecor ont réagi avec une certaine nervosité. Le titre du conglomérat a chuté de 1,5 % dans la demi-heure qui a suivi l'annonce, pour regagner le terrain perdu peu après. L'action a glissé de nouveau avant de clôturer la séance à 33,81 $ à la Bourse de Toronto, en légère hausse de 0,7 %.

Le sujet d'un éventuel retour de M. Péladeau dans un poste de direction est visiblement délicat chez les analystes financiers qui suivent les activités de Québecor. Aucun n'a rappelé La Presse Affaires, hier, parmi la demi-douzaine que nous avons tenté de joindre à Montréal et à Toronto.

Québecor affirme pour sa part avoir appris le départ de M. Péladeau en même temps que l'ensemble de la population, à 14 h hier. « Nous prenons acte de sa décision de se consacrer à sa famille et lui témoignons toute notre amitié et notre soutien dans les circonstances », a indiqué le groupe dans un bref communiqué.

PAS À COURT TERME

Pierre Karl Péladeau a quitté la présidence de Québecor inc. en mars 2013 pour devenir président du conseil d'administration de QMI et TVA, deux filiales du groupe. Il a fait le saut en politique un an plus tard en briguant la circonscription de Saint-Jérôme sous la bannière du Parti québécois. Robert Dépatie a pris son relais comme grand patron de Québecor, avant de céder les rênes de l'entreprise à Pierre Dion au printemps 2014.

Selon une source haut placée au sein de Québecor, aucun chemin n'aurait été tracé pour un retour de Pierre Karl Péladeau à la tête du conglomérat.

Brian Mulroney, président du conseil d'administration de Québecor depuis le printemps 2014, a décliné notre demande d'entrevue, hier. Les investisseurs et les médias pourraient toutefois en apprendre un peu plus le 12 mai prochain, à l'occasion de l'assemblée générale annuelle des actionnaires qui se déroulera au siège social de Québecor, dans le Vieux-Montréal.

RETOUR PROBABLE ?

L'ancien politicien et homme d'affaires Daniel Paillé connaît bien Pierre Karl Péladeau. Il l'a côtoyé quand il était vice-président de la Caisse de dépôt et placement du Québec, puis chez Québecor, où il a été vice-président de 1992 à 1995. « La seule fois où je me se souviens d'avoir vu Pierre Karl Péladeau aussi ébranlé qu'hier, c'est aux funérailles de sa soeur Isabelle [morte en 2013]. »

Daniel Paillé ne doute pas un instant de la sincérité de M. Péladeau qui, après avoir été député deux ans et chef de parti un an seulement, a choisi de partir pour des raisons familiales. « C'est un gars entier, qui a fait un choix », a-t-il commenté.

Selon lui, Pierre Karl Péladeau retournera probablement à son entreprise où, contrairement à la politique, il est possible d'avoir un contrôle sur sa vie privée.

Au Syndicat des employés de TVA, on s'attendait aussi à ce que Pierre Karl Péladeau retourne dans l'entreprise familiale un jour. Mais pas aussi vite. « Il n'a jamais voulu vendre, alors ce serait normal qu'il revienne pour voir les résultats des changements qu'il a apportés », a estimé Réjean Beaudet, un des membres de l'exécutif syndical.

Selon lui, M. Péladeau était très présent dans ses entreprises avant de faire de la politique. « C'est quelqu'un qui savait où il s'en allait. »

Les syndiqués du Journal de Montréal, qui ont croisé le fer avec Pierre Karl Péladeau lors d'un long conflit qui a duré 764 jours, ont préféré ne pas commenter la démission de leur ancien patron. Le Syndicat des employés de Vidéotron n'a pas rappelé La Presse Affaires.

DES RÉACTIONS NOMBREUSES

Le retrait de Pierre Karl Péladeau de la vie politique - et son retour possible chez Québecor - ont suscité plusieurs réactions, hier.

IMAGE ÉCORCHÉE Pour Jean-Jacques Stréliski, professeur associé au département de marketing de HEC Montréal et cofondateur de l'agence publicitaire Cossette, la démission de Pierre Karl Péladeau représente un « échec cuisant ». « Sur le plan de l'image, il y a un accident qui vient d'arriver. Et cet accident-là aura forcément des séquelles et des conséquences, que ce soit sur le plan politique ou familial. » L'expert en marketing dit s'être fait insulter après avoir mentionné le mot « échec » sur son compte Twitter. « Mais comment appelez-vous ça ? Ce n'est pas une sortie voulue, ce n'est pas une sortie volontaire, il y a quelque chose qui s'est passé. »

FIDUCIE CONTESTÉE La question des avoirs de Pierre Karl Péladeau a suscité de la controverse dès son arrivée en politique. Avant d'être élu chef du Parti québécois, M. Péladeau avait promis de placer ses actions en fiducie. Il a plutôt choisi en septembre dernier de confier ses avoirs à un mandataire, la Société Placements St-Jérôme, qui a reçu la directive de ne pas vendre ses actions de Québecor. Cette décision n'a pas réussi à faire taire les critiques, même si elle va au-delà de ce qu'exige le code d'éthique de l'Assemblée nationale. M. Péladeau avait également signé une déclaration sur l'honneur, dans laquelle il s'était engagé à ne pas intervenir dans les choix éditoriaux des médias dont il est propriétaire, soit Le Journal de Montréal, Le Journal de Québec, 24 Heures et TVA.

MESSAGE NÉGATIF Pour Yves-Thomas Dorval, président du Conseil du patronat du Québec (CPQ), le bref passage de Pierre Karl Péladeau en politique - et surtout les nombreux rebondissements liés à ses actions de Québecor - risquent de décourager d'autres gens d'affaires de se lancer eux aussi. Il s'en dit chagriné. « Je comprends très bien quelqu'un qui est un entrepreneur, un homme d'affaires, qui bâtit un patrimoine et veut le léguer à sa famille, que des clauses qui interdisent cette propriété-là parce qu'on est en politique, ça va décourager beaucoup de gens d'affaires de se lancer en politique. Cependant, dans son cas à lui, il y avait un contexte particulier, parce que ce n'est pas n'importe quelle entreprise, c'est une entreprise médiatique qui a un pourcentage du marché très important. »

ÉVENTUEL RETOUR ? Le président du CPQ souligne n'avoir « aucune information » quant à un éventuel retour de Pierre Karl Péladeau à la direction de Québecor, dont il détient 74 % des droits de vote. « Il a la possibilité de faire ce qu'il veut, mais il a quand même un conseil d'administration, a indiqué Yves-Thomas Dorval. Si son conseil d'administration démissionnait parce qu'il est contre, je ne pense pas que ça laisse toute la marge de manoeuvre, même si vous êtes l'actionnaire majoritaire. Vous pouvez toujours l'exercer, mais ça n'aide pas tellement l'entreprise, et il reste que l'entreprise a besoin d'investisseurs, d'actionnaires. »

AUTRES RÉACTIONS La Fédération des chambres de commerce du Québec a tenu à saluer « la contribution de Pierre Karl Péladeau à la vie politique et économique du Québec », hier après-midi. « À l'occasion de la démission annoncée aujourd'hui de Pierre Karl Péladeau à titre de chef du Parti [Q]uébécois, la FCCQ souligne le travail de ceux et celles qui choisissent de s'engager dans la vie publique, en rappelant que l'occupation de fonctions politiques demande un dévouement et des convictions hors du commun. C'est avec un grand respect des raisons qui motivent le choix de M. Péladeau que la FCCQ reçoit cette nouvelle. »