Pas question de revenir sur les réductions de personnel, malgré les 675 millions accordés à CBC/Radio-Canada dans le budget fédéral, affirme le PDG du diffuseur public, Hubert Lacroix. Cet investissement du gouvernement Trudeau, qui servira notamment à appuyer le virage numérique de la société d'État, inquiète certains télédiffuseurs privés au Québec, dont le Groupe TVA et le Groupe V Média.

« On ne peut pas revenir sur les compressions qu'on a subies, dit Hubert Lacroix en entrevue à La Presse. Les Canadiens utilisent nos services différemment, nos services sont différents, nos façons de faire sont différentes. C'est certain qu'on ne revient pas en arrière. »

Le syndicat des employés de Radio-Canada s'inquiète toutefois de possibles pertes d'emploi liées au virage numérique. La société d'État compte actuellement 7440 salariés (dont 6659 permanents), mais son plan stratégique 2020 prévoit une réduction d'effectifs pouvant atteindre 1500 employés d'ici 2020 dans le cadre de son virage numérique. « Est-ce qu'on va au moins annuler les coupes prévues [dans la stratégie 2020] ? La direction n'a pas été claire [hier] », estime le responsable des communications du syndicat, Kamel Bouzeboudjen. Des coupes associées au virage numérique s'ajouteraient aux 650 emplois perdus depuis les compressions de 115 millions par an du gouvernement Harper, en 2012.

CBC/Radio-Canada a recruté 150 personnes au cours des derniers mois pour opérer son virage numérique et compte faire d'autres embauches. La société doit donner davantage de détails en avril sur la façon dont sera dépensé le financement accordé par le gouvernement Trudeau.

DES TÉLÉDIFFUSEURS PRIVÉS INQUIETS

Si Radio-Canada se réjouit de ces 675 millions supplémentaires (75 millions en 2016-2017 puis 150 millions par année pendant quatre ans), il en va autrement d'un front commun de télédiffuseurs québécois, qui s'inquiète de cette mesure du budget Morneau.

Au cours d'un entretien avec La Presse, les PDG de Groupe TVA, Groupe V et Groupe Serdy (Évasion, Zeste TV) ont dénoncé cet investissement « sans condition » susceptible, selon eux, de bouleverser le fragile équilibre de l'industrie québécoise, qui traverse déjà une période difficile avec la concurrence de nouveaux acteurs comme Netflix.

« Nous avons décidé de nous unir parce que nous sommes très inquiets de l'annonce du gouvernement fédéral [...]. On voit cela comme un chèque en blanc qui leur a été remis, et ce, sans aucune imputabilité. On craint vraiment que cet argent-là ne fasse basculer l'équilibre qui était déjà très fragile, surtout au Québec », a déclaré Julie Tremblay, PDG de Groupe TVA.

Ces dirigeants demandent au gouvernement de s'assurer que les nouvelles sommes ne seront pas utilisées pour faire concurrence au secteur privé, notamment dans l'acquisition de contenus et de personnel. « À moyen terme, on souhaiterait faire partie d'une consultation publique sur le mandat de Radio-Canada et le rôle que devraient jouer les diffuseurs privés et le diffuseur public dans un environnement, dans une industrie qui est en pleine évolution, pour s'assurer qu'il y a un équilibre, et surtout une pérennité », a ajouté Maxime Rémillard, PDG de Groupe V Média.

UN « VOTE DE CONFIANCE » DU GOUVERNEMENT

Radio-Canada se réjouit au contraire du « vote de confiance » du gouvernement Trudeau. La société d'État estime avoir besoin de ces 675 millions pour mener à bien son mandat, qui diffère de celui des télédiffuseurs privés.

« On répète qu'on a un mandat unique, un mandat qui nous fait faire des choses qui ne sont pas viables seulement sur le plan économique, dit Hubert Lacroix, PDG de CBC/Radio-Canada. On est dans des endroits au Canada où il n'y a pas de modèle d'affaires. Le mandat est complètement différent du modèle d'affaires des privés, et je respecte ce que font les privés. C'est sous cet angle qu'il faut regarder l'investissement. »

La société d'État se servira de cet argent frais pour accélérer son virage numérique et diffuser davantage de contenu sur ses plateformes traditionnelles. « C'est l'équilibre constant d'un télédiffuseur public comme nous, dit Hubert Lacroix. Il y a encore 80 % des gens qui regardent la télé à des heures de grande écoute. On ne peut pas oublier cet auditoire-là. En même temps, il y a un grand nombre de personnes qui ne regardent plus la télé, mais qui utilisent d'autres plateformes pour consommer notre contenu. » Les émissions en rediffusion seront aussi moins nombreuses. « On veut diminuer le nombre de reprises, c'est important », dit Hubert Lacroix.

En 2014-2015, CBC/Radio-Canada était financée à 63 % par les crédits parlementaires (1,04 milliard sur un budget total de 1,64 milliard).