C'est officiel : la Société Radio-Canada (SRC) a planté une pancarte « À vendre » devant son vaste siège social montréalais. Les parties intéressées ont jusqu'à la mi-mars pour manifester leur intérêt pour cette propriété évaluée à 104 millions de dollars par la Ville de Montréal.

La SRC souhaite vendre « 100 % de ses intérêts » dans ses immeubles et terrains du boulevard René-Lévesque Est, indiquent les courtiers Avison Young et Brookfield Financial dans un document diffusé discrètement la semaine dernière. L'objectif du diffuseur public : trouver un acheteur unique pour l'ensemble du site.

« Ce serait le scénario idéal », a confirmé Louis Lalande, vice-président principal des Services français de CBC/Radio-Canada, en entrevue dans la grande tour brune de Radio-Canada. « On attend les propositions. »

Le site offre un potentiel de développement gigantesque. L'acheteur pourra aménager jusqu'à 9,5 millions de pieds carrés d'immeubles résidentiels, de commerces et de bureaux sur les vastes terrains de la SRC, indiquent les courtiers. C'est l'équivalent... de six fois Place Ville Marie.

Déménagement

Cette mise en vente survient en parallèle à une autre démarche entamée l'automne dernier par la SRC, en vue de déménager ses 3000 employés et contractuels montréalais. La société d'État a mandaté Avison Young pour identifier différentes options, dont l'installation dans des bureaux existants du centre-ville et le déménagement dans un immeuble à construire.

Selon nos informations, la société d'État vient de sélectionner une poignée de finalistes, après avoir reçu une quinzaine de propositions de promoteurs immobiliers depuis l'automne. Louis Lalande espère que la décision ultime sera prise en octobre prochain.

« On pense que d'ici l'été, on va avoir une bonne idée de la solidité des propositions, a-t-il expliqué. On va savoir vers quoi on va se diriger : vers une nouvelle bâtisse sur les terrains actuels [de Radio-Canada] ou ailleurs au centre-ville. Va-t-on être dans du neuf ou de l'existant ? On s'est fixé comme objectif qu'au mois d'octobre, on pourrait avoir une idée précise du choix d'un proposant. »

Confusion

Quoi qu'il en soit, la mise en vente de la Maison de Radio-Canada a causé une certaine confusion ces derniers jours chez des acteurs de l'industrie immobilière montréalaise, alors que le processus d'analyse des projets de déménagement bat toujours son plein.

« Ça a dérangé beaucoup de gens dans le milieu, a confié une source proche du dossier. En plein milieu d'une procédure d'appel d'offres, ils mettent en même temps l'ensemble de la propriété sur le marché. C'est certainement inhabituel. »

Le patron de Radio-Canada juge plutôt que les deux démarches sont « séparées, mais conjointes », et qu'elles font partie du « même processus ».

« C'est deux choses séparées, a dit Louis Lalande. Le déménagement ou l'aménagement de Radio-Canada dans un nouveau lieu, qu'il soit ici ou ailleurs, c'est une chose. Et l'intérêt d'un acquéreur pour la bâtisse, c'en est une autre. »

Trop grand

Une chose est sûre : les bâtiments de la SRC sont devenus beaucoup trop vastes pour les besoins actuels de l'organisation. La grande tour et ses bâtiments afférents - incluant d'immenses locaux en sous-sol - totalisent 1,3 million de pieds carrés. La société d'État évalue aujourd'hui ses besoins à 400 000 pieds carrés.

La désuétude de la tour représente aussi un important fardeau pour la SRC, martèlent ses dirigeants depuis plusieurs années déjà. Les frais de gestion et d'exploitation de l'immeuble inauguré en 1973 s'élèvent à 20 millions par an, et le déficit d'entretien cumulé dépasse les 170 millions. Ventilation, fenêtres, tuyauterie, enveloppe extérieure : la tour a besoin d'être rénovée de fond en comble, une dépense que ne peut se permettre le diffuseur public.

Radio-Canada cherche par ailleurs à se doter de bureaux et studios moins cloisonnés et plus modernes que ceux de la tour actuelle, souligne Louis Lalande. « Les plans de la bâtisse ont 50 ans. Ç'a été construit selon les paramètres de l'industrie de la radio et de la télé de l'époque. On n'est plus là. Il y a de grands pans de ces espaces qui sont vides et inutilisés. »

Selon le plus récent rôle d'évaluation foncière de la Ville de Montréal, les terrains de la SRC valent 43,7 millions et les bâtiments, 60,1 millions, pour un total de 103,8 millions. Un document présenté aux administrateurs de la SRC en 2013, que La Presse avait obtenu, mentionnait plutôt une valeur de revente globale de 65 millions.

Le processus de vente entamé la semaine dernière par Avison Young et Brookfield Financial prend fin le 18 mars prochain. Les deux courtiers n'ont pas rappelé La Presse Affaires.

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Qu'en pense la ministre Joly ?

Tout en insistant sur l'indépendance de Radio-Canada, la nouvelle ministre du Patrimoine canadien, Mélanie Joly, assure qu'elle suivra de près le dossier du réaménagement des bureaux montréalais de la société d'État.

« Ma principale préoccupation, c'est que les employés de Radio-Canada/CBC aient accès à un environnement de travail qui répond aux nouveaux besoins technologiques, a-t-elle indiqué à La Presse Affaires, hier. C'est fondamental, parce qu'on est dans une ère numérique et on doit s'assurer d'avoir des espaces de travail qui répondent aux besoins de cette ère-là. »

Mélanie Joly dit s'attendre à ce que Radio-Canada « consulte et discute avec les différentes parties prenantes » avant d'arrêter sa décision. « On veut s'assurer qu'on ait un bon processus pour, à terme, s'assurer que les points de vue, les intérêts et les préoccupations de la communauté soient pris en compte. »

Réinvestissement massif

Et qu'en est-il du réinvestissement de 150 millions dans le budget de fonctionnement de Radio-Canada/CBC, promis par les libéraux de Justin Trudeau pendant la campagne électorale ? La ministre affirme qu'elle tiendra promesse.

« On va réinvestir massivement dans Radio-Canada/CBC, a-t-elle lancé. Je travaille très fort pour que nos engagements électoraux soient, bien entendu, respectés. La plateforme électorale prévoyait des réinvestissements pour l'année 1 et l'année 2, et c'est sur ces réinvestissements que je travaille très fort. »

Mme Joly espère pouvoir en faire l'annonce au prochain budget fédéral, à la fin du mois prochain.

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Maison de Radio-Canada : un long feuilleton

Le projet de réaménagement de la Maison de Radio-Canada a connu plusieurs incarnations depuis le début des années 2000. Cette fois sera-t-elle la bonne ?

Projet avorté

En 2002, la Société Radio-Canada a annoncé la vente d'une parcelle de 79 000 pieds carrés de son vaste terrain de stationnement, à l'angle du boulevard René-Lévesque et de la rue Wolfe. Le Groupe Le Versant devait y ériger un immeuble de 140 copropriétés, projet qui a soulevé l'ire des groupes communautaires du quartier. Après plusieurs rebondissements, incluant une poursuite du promoteur contre la SRC, le projet est tombé à l'eau. Le promoteur a été condamné à payer plus d'un demi-million à la SRC en 2008.

Grandes consultations

C'est en 2008 que le projet de mise en valeur des terrains de la SRC a pris une tournure plus concrète. Cette année-là, le conseil municipal de Montréal a approuvé un projet de 1,6 milliard de dollars, qui prévoyait entre autres la construction de 2200 logements, la transformation de la tour en appartements ou en hôtel, de même que l'érection d'immeubles commerciaux et de deux places publiques. Une vaste consultation menée par l'Office de consultation publique de Montréal a permis d'apporter plusieurs modifications au projet. Cette démarche a mené à la ratification d'un accord de développement avec la Ville de Montréal en 2009 pour encadrer le développement du site ; celui-ci est toujours valide aujourd'hui.

Trois projets

Trois consortiums se sont qualifiés en 2012 pour présenter des projets de redéveloppement des terrains de la SRC. Le diffuseur public, soumis à de fortes compressions par le gouvernement conservateur de Stephen Harper, était alors bien déterminé à demeurer sur le site du boulevard René-Lévesque Est. Il était toutefois prévu de s'installer dans des locaux 50 % plus petits. Deux des trois groupes choisis se sont retirés de la course, tandis que le troisième, dirigé par Busac, a présenté une proposition qui ne répondait pas à tous les critères du diffuseur.

Nouveaux scénarios

La société d'État a décidé de lancer un processus « plus simple » l'automne dernier, a expliqué Louis Lalande, grand patron des services français. Il a mandaté le courtier Avison Young pour étudier différents scénarios, incluant un déménagement dans des bureaux existants au centre-ville de Montréal ou encore dans un édifice à construire, sur les terrains de Radio-Canada ou ailleurs en ville. La SRC espère décider d'un plan définitif en octobre prochain. Louis Lalande ne cache pas qu'il espère que cette fois-ci sera la bonne. « Peux-tu t'imaginer que les employés ont très hâte de savoir ? Ils ont vu toutes sortes d'affaires depuis 15 ans. Ils ont vu des maquettes dans l'entrée, il y a même un projet qui vendait des condos dans l'entrée ! »

9,5 millions de pieds carrés

Radio-Canada a par ailleurs mis en vente l'ensemble de ses terrains et bâtiments montréalais la semaine dernière. En vertu des nouveaux paramètres de zonage adoptés en 2013 par l'arrondissement de Ville-Marie, la densité du site a été rehaussée à un ratio de 9. En clair, cela signifie que les futurs propriétaires pourraient construire jusqu'à 9,5 millions de pieds carrés de commerces et résidences sur les terrains de 1,05 million de pieds carrés. La nouvelle réglementation permet une hauteur de 45 mètres au coeur du site, soit environ 15 étages. Les édifices qui donneront sur la rue devront toutefois être limités à 30 mètres, soit environ 10 étages, a indiqué Anne-Sophie Harrois, porte-parole de l'arrondissement.

La tour détruite ?

La célèbre tour brune de Radio-Canada n'est pas considérée comme un bâtiment classé en vertu de la Loi provinciale sur le patrimoine culturel. Il est cependant loin d'être acquis qu'un éventuel acquéreur serait autorisé à la démolir. « Si un projet est déposé et que celui-ci inclut une demande de démolition, l'arrondissement engagera une étude patrimoniale qui servira à documenter les caractéristiques du bâtiment et à évaluer par la suite s'il y a lieu de préserver le bâtiment ou certains de ses éléments », a précisé la porte-parole Anne-Sophie Harrois. La SRC estime à plus de 170 millions le déficit d'entretien cumulé de l'immeuble au fil des ans.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE