Les grands pays émergents ont profité à plein de la politique monétaire ultra généreuse de la Fed américaine, mais maintenant que les taux pourraient remonter, la plupart d'entre eux, déjà affaiblis par la conjoncture mondiale, font face à un vrai casse-tête.

Pour les pays émergents, «c'est la fin de la très grande illusion», a assuré à l'AFP l'économiste Christine Rifflart, auteur d'une étude de l'OFCE soulignant le retour «à une période de normalisation des politiques monétaires aux États-Unis» qui interrompt une période «exceptionnelle» pour les nations en développement.

Nombre d'émergents, producteurs de matières premières, ont profité ces dernières années du boum de l'économie chinoise, mais cette dernière ralentit, et la croissance des émergents suit. De plus, la perspective du relèvement des taux américains pénalise leurs conditions de financement et fait plonger leur devise.

À ces difficultés économiques s'ajoutent des éléments politiques, comme au Brésil où Dilma Rousseff fait face à une procédure de destitution ou en Afrique du Sud ou Jacob Zuma écorne sa crédibilité en changeant trois fois de ministre des Finances en quelques jours, provoquant l'effondrement du rand.

Dans ce contexte, les banques centrales placent tous leurs espoirs dans une hausse modérée des taux directeurs de la part de la Fed, afin que leur tâche ne soit pas insurmontable. En effet, la remontée des taux américains risque d'accentuer les sorties de capitaux. Cela peut être contré en relevant ses propres taux d'intérêt, mais aura des effets néfastes sur l'économie.

«S'ils veulent maintenir une certaine stabilité de leur monnaie, les émergents sont contraints de relever leurs taux. Or, comme ils sont dans une situation de ralentissement économique, voire de récession pour certains, il faudrait plutôt faire l'inverse», affirme Olivier Garnier, chef économiste à la Société Générale.

Le Brésil est peut-être l'exemple le plus parlant: son économie connaît une profonde récession, l'inflation dépasse 10% et des taux directeurs déjà élevés à 14,25%.

Autant dire que le pays qui avait le premier dénoncé une «guerre des monnaies» en 2010, se retrouve aujourd'hui coincé dans une «guerre des taux», dans une «situation extrêmement difficile», souligne Mme Rifflart.

«La politique monétaire américaine pose à chaque fois un problème au Brésil. Son économie est en récession et il faudrait qu'il desserre sa politique monétaire, mais cela renforcerait encore les sorties de capitaux, la baisse de la monnaie et donc l'inflation», souligne M. Garnier.

Des monnaies difficiles à défendre

Les pays producteurs de pétrole, pénalisés par des prix au plus bas depuis sept ans, doivent aussi faire face à la probable remontée des taux aux États-Unis et du dollar.

«Les pays du Golfe, dont la monnaie est alignée sur la devise américaine, peuvent se retrouver avec une monnaie surévaluée. Pour maintenir leur stabilité par rapport au dollar, ils seront contraints de relever leurs taux à leur tour», ce qui les priverait à leur tour d'un outil monétaire pour relancer la croissance, prévient M. Garnier.

Dans le cas du Nigéria, autre pays producteur de pétrole, «la pression va augmenter sur le naira au fur à mesure que les taux américains et le dollar vont remonter», souligne Jermaine Leonard, directeur chez Fitch, qui se demande jusqu'à quand la banque centrale pourra maintenir la monnaie sous la barre des 200 dollars.

«Nous pensons que la banque centrale aura des difficultés pour défendre l'actuel niveau du naira indéfiniment», prévient-il, laissant entendre qu'une dévaluation est envisageable.

De son côté, la Chine pourrait être l'un des rares émergents à tirer son épingle du jeu. Anticipant la remontée des taux américains, la banque centrale chinoise a estimé vendredi que la fixation du taux de change du yuan devrait être à l'avenir moins dépendante du dollar et davantage adossée à un panel de devises.

Son économie, dont la croissance a ralenti, pourrait bénéficier d'un décrochage par rapport au dollar: «En assouplissant son objectif de change, cela lui donnerait plus de liberté pour gérer au mieux sa demande intérieure, pour baisser ses taux d'intérêt et essayer de faire repartir la demande de crédit sur le marché financier bancaire», commente Mme Rifflart.

«Cela lui donnerait plus de moyens pour réguler sa demande intérieure», estime-t-elle.