New York est passée à quelques heures de la cessation de paiement il y a 40 ans, plombée par sa dette, la crise et une gestion incertaine. Un épisode impensable aujourd'hui dont elle mettra 20 ans à se remettre.

Drop dead. Va mourir. Ce 30 octobre 1975, le Daily News, tabloïd new-yorkais, résume ainsi la réponse du président des États-Unis Gerald Ford à la ville de New York, qui l'a appelé à l'aide.

Depuis des mois déjà, la capitale économique du pays se livre à des contorsions insensées pour éviter le défaut de paiement.

L'accumulation de déficits depuis plusieurs années et l'absence d'instruments de mesure financière efficaces ont été exacerbées par la crise pétrolière.

New York ne peut plus emprunter sur les marchés depuis avril, les grandes banques lui ont claqué la porte au nez. Le maire, Abraham Beame, un démocrate à la fibre sociale, ne leur a jamais inspiré confiance.

«Les banques ont réussi à s'organiser, les syndicats, non. Ça a été le tournant», analyse Eric Lichten, professeur de sociologie à l'université de Long Island et auteur du livre «Class, Power and Austerity: The New York Fiscal Crisis» («Classe, pouvoir et austérité: la crise financière de New York»).

Malgré l'aide de l'État de New York, qui a déjà injecté plusieurs milliards de dollars dans les caisses de la ville, elle doit encore rembourser 1,6 milliard de dollars d'ici à juin 1976.

La crise s'est déjà transportée dans la rue. Début juillet 1975, des tonnes de déchets se sont amoncelées en pleine chaleur pendant une grève des éboueurs, inquiets pour leurs salaires.

Valéry Giscard d'Estaing en renfort

Mais Gerald Ford, un républicain, ne veut rien savoir. Le 29 octobre, il parle déjà de dépôt de bilan et assure qu'il mettra son veto à tout plan de secours éventuellement voté par le Congrès.

«Une bonne part de cette crise s'est jouée à Washington», estime Robert Polner, coauteur du livre «The man who saved New York: Hugh Carey» («L'homme qui a sauvé New York»).

«Le président Ford voulait faire de New York un exemple. (...) Il a refusé de les aider jusqu'à la dernière minute», explique-t-il.

Ses conseillers, dont les futurs président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, et secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, l'encouragent à tenir cette ligne dure.

Il faudra que le président français Valéry Giscard d'Estaing et le Chancelier allemand Helmut Schmidt le pressent d'agir, en marge du sommet de Rambouillet (France), mi-novembre, pour que les lignes bougent.

«Ford a fini par comprendre le message: ça aurait été comme si les États-Unis avaient été en faillite», résume Robert Polner.

Le président accorde finalement 2,3 milliards de dollars d'aide fédérale à New York le 26 novembre, évitant à la ville une humiliation.

Mais pour New York, le chemin de croix ne fait que commencer. Des milliers d'employés municipaux sont licenciés, de nouveaux impôts sont votés, des dépenses d'investissement sont gelées.

«La ville n'est pas sortie de cette spirale avant les années 1990, où l'on pouvait toujours voir la détérioration des parcs, des routes, des écoles, du système de santé», considère Robert Polner.

Après 1975, New York, dont le modèle social, très investi dans l'éducation et la santé notamment, avait été pionnier, n'a plus jamais été gouvernée de la même manière.

Le maire est «plus un patron, maintenant. Ils ressemblent davantage à des banquiers», selon Robert Polner.

Pour Eric Lichten, les caractéristiques économiques et sociales du New York d'aujourd'hui, profondément inégalitaire, ont pour origine la crise de 1975.

Avant cette date, «on cultivait l'espoir», dit-il, «il y avait plus de logements abordables, l'éducation supérieure était gratuite, les transports publics étaient moins chers».

Aujourd'hui, «New York est une ville formidable, mais pour qui? Les gens aisés et très aisés.»