Google, 17 ans après sa fondation, est devenue un synonyme indélogeable de recherche sur l'internet. Malgré quelques anicroches, notamment en Europe où on s'inquiète de sa toute-puissance, aucun concurrent ne semble la menacer sérieusement. Pourquoi une entreprise prospère générant des revenus annuels de 86 milliards de dollars et valant 585 milliards en Bourse se réorganise-t-elle ainsi? La réponse en cinq points.

Q En quoi consiste la nouvelle structure?

R Alphabet chapeautera une «collection d'entreprises», selon les termes de Larry Page, dont la principale sera Google. Les activités de moteur de recherche, de ventes publicitaires, YouTube, Android et Chrome resteront au sein de ce Google allégé. Toutes les autres incursions de l'entreprise dans des domaines variés ces dernières années, des thermostats intelligents Nest à la voiture autonome en passant par les montgolfières internet, relèveront de six filiales autonomes, dirigées par leur PDG. Alphabet conservera les anciens symboles boursiers au NASDAQ de GOOG et GOOGL et publiera des résultats financiers distincts pour Google, d'une part, et les autres filiales, d'autre part.

Q Qu'est-ce que ça va changer pour l'utilisateur?

R En un mot: rien. «Du point de vue du consommateur, c'est beaucoup de bruit pour pas grand-chose, estime Jean-François Ouellet, professeur au département d'entrepreneuriat et innovation de HEC Montréal. Ça ne changera rien aux activités au jour le jour, ni même pour les actionnaires.»

Du point de vue des analystes financiers, la nouvelle permet une plus grande transparence et une meilleure évaluation de la rentabilité des différents projets de Google. Il est peu probable que le nouveau holding, Alphabet, vende quoi que ce soit directement aux consommateurs.

«Heureusement!, dit M. Ouellet. C'est le pire nom de l'univers, c'est vague et ça fait plutôt penser à des jouets pour enfants ou à des céréales. Mais ce n'est pas tellement important pour monsieur et madame Tout-le-Monde, ça vise surtout les investisseurs.»

Q Pourquoi Google devait-elle se scinder?

R Il y a belle lurette que Google, fondée en 1998, n'est plus simplement un moteur de recherche comptant sur la publicité pour être rentable. Des projets périphériques, parfois d'une audace ahurissante, se sont développés: immortalité, drones de livraison, internet diffusé par montgolfières, voiture autonome, recherche de la ville parfaite, lunettes intelligentes et investissements dans des entreprises naissantes font régulièrement les manchettes.

«La question était de savoir où ils allaient avec tout ça, résume Louis Hébert, professeur de stratégie et directeur des programmes de MBA et d'EMBA à HEC Montréal. Comment réussir à organiser et gérer toutes ces activités passablement différentes? Là, on est capable de mieux saisir ce qu'ils font. Le marché, les analystes et les individus qui veulent travailler pour Google sont capables de mieux apprécier l'entreprise.»

Q Comment le marché a-t-il accueilli l'annonce?

R Avec l'équivalent d'une ovation debout. Malgré une journée difficile pour les Bourses du monde entier, hier en fin de journée, le titre de Google s'était apprécié de 4,3% depuis l'annonce. Les cinq rapports d'analystes obtenus par La Presse ont unanimement salué «la plus grande transparence» que permettra le nouveau holding.

«La seule plainte que nous ayons entendue des investisseurs concernant les revenus au dernier trimestre concernent l'absence d'une plus grande transparence de l'entreprise, écrit notamment l'analyste de BMO Marchés des capitaux. Ce geste a certainement permis de façon plus large de mieux comprendre les différentes composantes de Google, particulièrement l'impact des "lubies" (moonshots) de l'entreprise.»

Jean-François Ouellet, de HEC Montréal, estime lui aussi que l'opération était nécessaire. «Quand on est au sein d'une entreprise et qu'on fait trois ou quatre choses en même temps, on peut perdre le sens de ce qui doit être fait au quotidien. Est-ce que Google fait des moteurs de recherche, envoie des fusées dans l'espace ou fabrique des objets connectés?» Son collègue Louis Hébert renchérit: «Souvent, on va faire ce type de réorganisation pour que le marché soit capable de bien évaluer la valeur de toutes les parties. Il fallait que leur organisation reflète ce qu'ils sont devenus, et c'est ce qu'ils ont fait.»

Q La création d'Alphabet signe-t-elle l'arrêt de mort des projets parfois fous de Google?

R «Au contraire!, répond Louis Hébert. On donne de l'espace à ces nouvelles entités. Lorsqu'on met tout le monde dans le même panier, comme c'était le cas, on se met à comparer des entreprises émergentes avec l'énorme machine qu'est Google, ce qui est injuste.» En optant pour cette réorganisation plutôt que de se délester de certaines activités, Google s'assure de plus de conserver son expertise au sein de son holding, estime-t-il.

«Google est assise sur un trésor de guerre assez important et décide de l'utiliser en se disant qu'elle est meilleure que le marché pour décider de l'allocation des capitaux.»