«On lâche pas l'morceau, Taylor!» a écrit lundi matin, sur Twitter, la chanteuse Ariane Moffatt en relayant la décision d'Apple de finalement payer des redevances aux artistes pendant la période d'essai gratuite de trois mois de son service de musique en continu Apple Music.

La lettre de Taylor Swift envoyée au géant américain a porté ses fruits pour la chanteuse pop, ainsi que pour l'industrie tout entière de la musique et de nombreux artistes qui, contrairement à Miss Swift, peinent à toucher un revenu décent grâce à leurs chansons. «À une semaine du lancement, c'est une stratégie habile d'Apple pour créer un impact extraordinaire et un vent de sympathie qui lui permettra de renforcer son image d'ami des artistes», détaille Mario Lefebvre, président de Flair Management Image Conseil et gérant de Roch Voisine notamment.

«Apple a su capituler devant la pression publique, ajoute Daniel Lafrance, directeur général d'Éditorial Avenue. Et ça prenait une lettre d'une artiste connue, et non d'une maison de disques, pour qu'elle le fasse. Car toutes les sociétés de droits d'auteur étaient contre cette stratégie de l'entreprise.»

Il y aurait eu un manque à gagner pour les artistes de près de 5 milliards de dollars, selon des publications spécialisées. «C'est peu d'argent pour Apple, qui engrange une telle somme un jeudi matin», lance Mario Lefebvre.

«Au Canada, on parlait d'un potentiel milliard d'écoutes pendant trois mois», dit Geneviève Côté, chef des affaires du Québec pour la SOCAN.

Peu pour les artistes québécois

Et le manque à gagner pour les artistes québécois? Probablement très peu... Ce qui peut être perçu à la fois comme une bonne et une mauvaise nouvelle. La Commission du droit d'auteur du Canada a établi, en mai dernier, que les redevances versées par les services de streaming étaient, notamment, de 10,2 cents par 1000 écoutes pour les artistes, interprètes et producteurs.

L'ADISQ a d'ailleurs porté en appel cette décision, jugeant qu'elle se basait sur un ancien modèle d'affaires.

«Contrairement à la diffusion de musique à la radio, par exemple, le streaming fait perdre des ventes de disques, note Solange Drouin, vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale de l'ADISQ. Le milieu de la musique s'en va vers ce type de consommation, mais on a perdu plus de 55% des parts de marché dans la vente de disques physiques depuis 2005. En 2015, on faisait moins de 6 millions de dollars comparé à 13 millions en 2005. On faisait nettement plus d'argent qu'en étant rémunéré à l'écoute. Par ailleurs, le tarif fixé ici pour le streaming est 10 fois moins élevé que celui aux États-Unis. Soit 10 cents comparativement à 1$ par 1000 écoutes.»

«Le streaming est un système extraordinaire pour les consommateurs, estime Daniel Lafrance. Mais c'est le pire modèle d'affaires pour l'industrie de la musique. Plus il y a de streaming, plus les ventes baissent. C'est bon pour les artistes archiconnus, mais pas pour les artistes québécois et moins connus. Car ça ne démocratise pas la musique. Selon une étude de Jupiter Research, 85% des revenus numériques sont versés à 1% des artistes de la planète. L'artiste québécois ne fera donc pas d'argent. Ce revirement d'Apple n'aura pas d'incidence réelle ici.»

Patience

La SOCAN prône toutefois la patience par rapport à cette façon de consommer la musique, publicisée notamment par Spotify, Pandora et Deezer.

«Bien sûr, on continuera toujours de trouver que la rémunération établie n'est pas suffisante, dit Geneviève Côté. Mais je pousse positivement pour qu'on laisse le temps à cette nouvelle source de revenus de se bâtir. Avec les années, YouTube en est devenu une grande. Les droits d'auteur que nous versons aux artistes canadiens tirés des nouveaux médias - streaming, YouTube, Netflix et autres services radio et télé sur le net - ont plus que quintuplé de 2013 à 2014. Ça rapporte tranquillement.»

«Les gens voient l'arrivée d'Apple Music comme un modèle d'affaires qui va enfin être rentable, poursuit Mario Lefebvre. On est dans une refonte du modèle. Et on ne peut blâmer les compagnies de disques d'aller chercher des revenus où il y en a et de réinventer ce qui existe. Le problème n'est pas isolé au Québec. Il est mondial.»