L'époque où la télé généraliste régnait sur le petit écran québécois est révolue depuis longtemps. Malgré son déclin, la télé généraliste avait globalement toujours réussi à faire des profits... jusqu'à l'an dernier.

Pour la première fois de leur histoire, les télés généralistes privées au Québec ont généré, dans leur ensemble, des pertes durant l'année financière 2013-2014, selon les chiffres rendus publics hier par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). La vingtaine de stations locales de TVA, V, CTV, Global et Citytv au Québec ont perdu 12,2 millions de dollars en 2013-2014 contre un bénéfice avant impôts et intérêts de 24,2 millions l'année précédente.

Revenus de publicité en baisse

Ce qui a changé en un an? Les revenus de publicité nationale, en diminution constante depuis trois ans, ont périclité de 13,2% en 2013-2014. Ce qui fait que les revenus des télés généralistes québécoises ont diminué pour une deuxième année consécutive. En 2012-2013, il s'agissait d'une baisse modeste de 1,5%. Cette fois-ci, les revenus ont diminué de 8,9%, tandis que les dépenses sont restées essentiellement les mêmes (diminution de 0,4%).

«Nous voyons très bien que les revenus sont en baisse de façon significative, ce qui vient corroborer un peu ce que le Groupe TVA dit lors de ses résultats trimestriels. Une partie de la publicité placée sur les télés généralistes se déplace vers les chaînes spécialisées et les nouveaux médias», dit Michel Arpin, ancien vice-président du CRTC.

Les revenus des télés généralistes québécoises sont passés de 429,5 millions en 2012-2013 à 391,2 millions en 2013-2014, soit une diminution de 8,9%. La publicité nationale, qui constitue environ le tiers des revenus, a reculé de 13,2% en un an. La publicité locale, qui constitue environ 20% des revenus, a baissé de 3,6%.

Si bien que, pour la première fois depuis que le CRTC publie leurs états financiers, les télés généralistes québécoises sont dans le rouge. Les pertes avant intérêts et impôts se chiffrent à 12,2 millions, et les pertes nettes avant impôts (mais après ajustements) s'établissent à 50,3 millions. Les chaînes généralistes québécoises n'avaient jamais généré de pertes auparavant, même au niveau des pertes nettes.

La situation ne risque pas de s'être améliorée au cours de la dernière année. Nonobstant la tendance lourde des revenus de publicité qui diminuent, les télés généralistes ont dû dire adieu en août dernier au Fonds d'amélioration de la programmation, créé en 2009 pour leur venir en aide durant la récession. À son apogée, le Fonds versait 14 millions aux télés généralistes au Québec, un montant réduit à 5 millions en 2013-2014. Les distributeurs faisaient peser le coût des cotisations du Fonds sur les consommateurs. «C'est un autre 5 millions qui disparaît», dit Michel Arpin.

Malgré leurs difficultés financières, les télés généralistes ne sont toutefois pas menacées de disparaître à court terme - notamment parce qu'elles sont presque toutes la propriété de grands conglomérats de télécommunications (Québecor/Groupe TVA pour TVA, Bell pour CTV, Shaw pour Global, Rogers pour Citytv). Au Québec, seule la chaîne V n'est pas rattachée à un conglomérat; l'actionnaire majoritaire du Groupe V Média est l'homme d'affaires Maxime Rémillard.

Leur programmation locale pourrait toutefois en souffrir au cours des prochaines années. «C'est peut-être un peu vite pour annoncer leur disparition, mais elles vont faire face à des pressions financières de plus en plus importantes, dit Michel Arpin. Le principal risque, c'est de voir moins de programmation locale et davantage d'émissions réseaux.»

Encore pire au Canada

Les finances des télés généralistes privées dans les autres provinces du Canada sont dans un état encore plus inquiétant qu'au Québec. Au total, l'ensemble des 92 stations locales au pays a généré des pertes (avant intérêts et impôts) de 138,7 millions en 2013-2014 contre des pertes de 2,3 millions l'année précédente.

Ces pertes augmentent à 275,6 millions en comptant les pertes nettes avant impôts (comparativement à des pertes nettes de 69,3 millions l'année précédente). Il s'agit des pertes les plus importantes depuis que le CRTC compile ces données financières.

En 2008-2009, les télés généralistes au pays avaient perdu 116,6 millions avant intérêts et impôts. Sans compter les chaînes généralistes privées au Québec, celles du reste du pays ont perdu 126,5 millions avant impôts et intérêts en 2013-2014.

Les revenus de toutes les chaînes généralistes privées au pays (incluant le Québec) ont diminué de 7,2% depuis un an, tandis que les dépenses ont diminué de 0,4%.

Bell, propriétaire de CTV (la chaîne généraliste privée ayant les auditoires les plus importants du pays) n'a pas commenté hier les chiffres du CRTC. Le Groupe TVA, qui possède la chaîne généraliste privée la plus importante du Québec, n'a pas rappelé La Presse.

Pertes aussi à Radio-Canada

Comme ses chaînes généralistes rivales du secteur privé, la chaîne de télé généraliste de Radio-Canada a aussi généré des pertes en 2013-2014. Ce n'est toutefois pas une surprise puisque la chaîne généraliste publique affiche régulièrement (chaque année depuis 2009) des pertes dans ce rapport annuel du CRTC.

En 2013-2014, la télé de Radio-Canada a généré des pertes avant impôts et intérêts de 23,7 millions. Au Québec, la télé de Radio-Canada a généré des pertes de 10,0 millions. La société d'État CBC/Radio-Canada présente toutefois un budget équilibré pour l'ensemble de ses activités.

---------------

QUELQUES CHIFFRES

-12,2 millions

Pertes avant intérêts et impôts de l'ensemble des chaînes généralistes au Québec en 2013-2014

14,5 millions

Montant octroyé par le Fonds pour l'amélioration de la programmation locale aux chaînes généralistes québécoises à son apogée, en 2010-2011. Le Fonds n'a versé que 5 millions en 2013-2014 et il a été aboli en août dernier.

-8,9 %

Diminution des revenus des chaînes généralistes au Québec en 2013-2014

-138,7 millions

Pertes avant intérêts et impôts de l'ensemble des chaînes généralistes au Canada en 2013-2014