À la surprise générale, la Banque du Canada abaisse son taux directeur afin d'atténuer les effets négatifs présents et attendus de l'effondrement des cours du pétrole. Le geste se veut une mesure de précaution.

Le taux cible de financement à un jour passe de 1,00% à 0,75%. Il n'avait pas bougé depuis septembre 2010. Il pourra de nouveau diminuer si, par exemple, le prix de l'or noir ne se redresse pas d'ici l'été.

«La Banque dispose de la marge de manoeuvre nécessaire au cas où sa projection serait trop pessimiste ou trop optimiste», a d'ailleurs rappelé son gouverneur Stephen Poloz durant la conférence de presse après l'annonce qui a déclenché beaucoup d'activités sur les marchés boursiers, monétaires et obligataires.

Le choc pétrolier ralentit déjà la croissance réelle, qui diminuera à 1,5% en rythme annualisé au premier semestre. Durant l'automne, le rythme a sans doute dépassé 2%. Le choc entraînera aussi le taux annuel d'inflation sous la barre de 1% durant la plus grande partie de 2015.

La Banque prévoit même que le taux d'inflation globale ne sera plus que de 0,3% au printemps. Ce taux était de 2% en octobre. Le chiffre de novembre sera connu demain et devrait afficher une baisse notable, induite par la baisse des prix des carburants qui s'est poursuivie depuis.

Sans nouveau stimulant monétaire, a expliqué M. Poloz, le ralentissement anticipé de la croissance et de l'inflation aurait été plus prononcé et «déraisonnable».

Est-ce à dire que le Canada risquait la déflation, comme c'est le cas en Europe? a demandé La Presse Affaires. «Non, a répondu le gouverneur sans hésitation. La taille du choc n'est pas assez forte. Le risque de déflation est loin de menacer ici.»

Il faut comprendre le choc présent comme un recul dans une conjoncture encore positive pour le Canada, juge la Banque.

Elle se veut donc préventive et proactive, quitte à brusquer les marchés financiers. Aucun économiste financier sondé par Bloomberg n'avait d'ailleurs prévu son geste.

«La mesure de politique prise par la Banque vise à offrir une assurance contre ces risques, à favoriser l'ajustement sectoriel nécessaire au renforcement des investissements et de la croissance, et à permettre à l'économie canadienne de retourner à son plein potentiel et l'inflation, à la cible», expliquent les autorités monétaires.

Reste à voir maintenant si les institutions financières abaisseront à leur tour leur taux préférentiel consenti à leurs meilleurs clients. Il est fixé à 3,0%, lui aussi depuis septembre 2010. Ce taux influence les prêts à taux variable, très répandus sur les marchés hypothécaires et les marges de crédit.

Dans la nouvelle édition de son Rapport sur la politique monétaire (RPM), la Banque fait l'hypothèse que le cours moyen du baril de pétrole West Texas Intermediate sera de 60$US d'ici la fin de 2016. Cela suppose qu'il se raffermira au cours des prochains mois.

D'ici là, il pourrait diminuer encore à court terme et nourrir la spéculation sur une autre baisse du taux directeur. Il pourrait aussi moins se redresser que ne l'anticipe la Banque, comme le croient bien des prévisionnistes.

La Banque fait aussi l'hypothèse que le taux de change moyen du dollar canadien sera de 86 cents US durant la période. Cela suppose toutefois que le taux directeur ne baissera pas davantage et que le cours du pétrole remonte, stimulant la croissance dans sa poussée.

Pour l'ensemble de 2015, le taux d'expansion réelle est ramené de 2,4% à 2,1% alors qu'il est augmenté d'un dixième, à 2,4%, pour l'an prochain.

La diminution est surtout attribuable aux investissements des entreprises dont au moins 30% étaient réalisés par l'industrie pétrolière, entre 2010 et 2013. En octobre, la Banque s'attendait à ce qu'ils soient un facteur de croissance.

La baisse des cours pétroliers, du huard et maintenant du taux directeur doit en principe soutenir les investissements manufacturiers. L'augmentation souhaitée des exportations ne sera pas immédiate, toutefois, puisque bien des capacités de production ont été détruites. Cela est particulièrement vrai au Québec dans les industries forestière et papetière, mais aussi dans la fabrication d'électroménagers par exemple.

L'autre grand changement à son scénario économique porte sur le revenu intérieur brut (RIB) réel, une mesure fiable du pouvoir d'achat. Estimée à 1,7% en octobre, sa croissance est ramenée à 0,7% seulement. Cela signifie que les ménages et les entreprises ne sentiront pas l'enrichissement associé en général à la croissance.

L'effet de richesse associé à la chute des prix des carburants sera de courte durée.

Un prix plus faible du brut diminue la valeur des exportations, alors que la baisse du dollar canadien augmente celle des biens importés. Le revenu total du Canada diminue, celui des Canadiens aussi.

«L'affaiblissement des termes de l'échange du Canada aura un effet défavorable sur les revenus et la richesse, et influera de ce fait sur la consommation et les finances publiques», lit-on dans le RPM.

Bien des ménages auront le sage réflexe de mettre de l'argent de côté. La Banque prévoit que leur taux d'endettement va augmenter avec le ralentissement du RIB et incitera, souhaite-t-elle, à épargner par précaution. Bref, l'argent en plus venu de la baisse du prix de l'essence ne sera pas automatiquement consommé ailleurs.

C'est aussi un signal aux ministres des Finances de revoir leurs prévisions budgétaires. La chute anticipée de l'inflation va ralentir la croissance de l'assiette fiscale.

La prochaine date de fixation du taux directeur sera le 15 avril.