La fiction peut souvent se révéler un bon outil pédagogique pour expliquer des concepts compliqués, comme ceux liés à la spéculation financière.

Après tout, L'argent, d'Émile Zola, n'est-il pas encore le meilleur roman pour raconter un krach boursier de l'intérieur?

C'est un peu la même démarche qu'empruntent Tristan Roulot et Philippe Sabbah dans leur triptyque Hedge Fund, dont les deux premiers tomes sont parus.

L'ensemble de la bande dessinée très bien scénarisée se veut une charge contre la spéculation et ses acteurs. La définition de hedge fund retenue par les scénaristes ne ment pas: «Société d'investissement non réglementée, interdite au public et capable d'emprunter plusieurs fois son capital pour miser en Bourse sur des opérations ciblées. Les hedge funds sont responsables des attaques spéculatives les plus brutales contre les États du monde entier. On compte aujourd'hui 10 000 hedge funds localisés à 80% dans les paradis fiscaux.»

Franck Carvale est un jeune Français séduisant, ambitieux et arrogant. Après une affaire qui a mal tourné dans son pays, il s'installe à Hong Kong pour tenter sa chance dans le merveilleux monde des «traders», où l'argent comme le champagne coulent à flots.

Les affaires sont d'abord difficiles, au point où il n'arrive pas à payer sa part du loyer qu'il partage avec un couple qui a développé une nouvelle génération de prothèses pour enfants.

Un beau jour, il est remarqué par Ergyu Bilkaer, un richissime financier qui exploite entre autres activités un casino à Macao.

Bilkaer devine vite l'ambition qui dévore Carvale et décide de l'initier à quelques subtilités de la spéculation en tous genres.

Puis, il lui suggère de diriger un gros fonds spéculatif dont la mise d'entrée est fixée à 20 millions. Carvale devra montrer ses talents de bonimenteur pour convaincre des gestionnaires de fortune qui en ont vu d'autres, mais la caution de Bilkaer emportera la mise.

Le succès grise rapidement Carvale, qui prend de plus en plus d'initiatives risquées jusqu'au jour où éclate la crise financière.

La chute de Carvale sera plus brutale que sa rapide ascension.

Les auteurs nous présentent le monde des «traders» de l'intérieur, avec toute la vulgarité et le mépris que l'argent facile nourrit.

Les scénaristes introduisent aussi dans le déroulement de leur histoire les grandes manoeuvres des ventes à découvert.

Ils montrent aussi comment le délit d'initié est fréquent. Ainsi, c'est au cours d'une soirée arrosée, enfumée et torride avec sa coloc que Carvale apprend la composition de l'actionnariat de l'entreprise pour laquelle elle travaille et où elle détient une position d'actionnaire minoritaire. Cela lui permettra d'organiser un squeeze et de laver un collègue qui s'était moqué de lui.

Après ces premiers succès, Carvale emménage dans la Grande Pomme, où il est très actif dans la gestion des produits dérivés des prêts hypothécaires à haut risque (subprimes), dont toute la dynamique est présentée.

Le président de la Réserve fédérale de l'époque, Alan Greenspan, est présenté comme l'instrument des grands spéculateurs à la Bilkaer, qui lui suggèrent de hausser rapidement les taux d'intérêt quand l'économie se relève de l'éclatement de la technobulle en 2001-2002.

La débâcle de 2007-2008 est habilement résumée grâce au découpage du dessinateur Patrick Hénaff, qui sait charger de sens chaque cadrage rehaussé des couleurs magnifiques de Lerolle, Poupart&Le Moal. L'utilisation judicieuse d'extraits d'actualité fait ressortir l'ampleur catastrophique de la crise financière.

Carvale sera coincé à son tour et tentera une ultime arnaque pour s'en sortir qui lui sera fatale: une pyramide de Ponzi. Il cherchera à montrer qu'il a été l'instrument de Bilkaer, qui avait bien préparé son coup.

Le deuxième tome s'achève sur la condamnation de Carvale, mais le titre du troisième est prometteur: La stratégie du chaos.

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Des hommes d'argent 2 Actifs toxiques, Patrick Hénaff, Tristan Roulot, Philippe Sabbah. Lombard. 56 pages par tome.