Sur la belle erre d'aller de 2014, l'expansion canadienne accélérera doucement l'an prochain grâce au dynamisme enfin retrouvé de l'économie américaine.

La production en usines et les investissements des entreprises vont prendre le relais de la consommation des ménages et de la production des hydrocarbures. La première doit ralentir, alors que la seconde souffre déjà de la chute des cours, qui compromet la rentabilité de quelques champs.

Pour la 39e édition des Boules de cristal de La Presse, nos quatre experts prédisent une croissance de 3% aux États-Unis, qui permettra à l'économie canadienne d'au moins maintenir son rythme actuel et à celle du Québec de se rapprocher d'une croissance de 2%, qu'elle n'a pas connue depuis 2011, soit bien davantage que son potentiel d'environ 1,5%.

«Les États-Unis ont connu, durant les deuxième et troisième trimestres, leur meilleure séquence de croissance en 21 ans, note Matthieu Arseneau, économiste principal à la Banque Nationale. Le choc fiscal de 2013 est passé.»

«Ils sont sur un très bel élan: le service de la dette des ménages est en baisse, l'enveloppe salariale globale a gonflé cette année de 3,4% et la confiance des consommateurs est à la hausse», ajoute Sébastien Lavoie, économiste en chef adjoint chez Valeurs mobilières Banque Laurentienne. Quand c'est arrivé en 1992 et en 1997, la croissance américaine a été forte l'année suivante.»

«On observe une petite reprise cyclique dans le monde, et en particulier dans les pays anglo-saxons, renchérit François Dupuis, vice-président et économiste en chef chez Desjardins. Tout paraît en place pour que la croissance américaine soit au-delà de son potentiel pendant deux ans.»

«L'économie américaine dépend moins du commerce extérieur, qui représente seulement 13% de son économie», précise Maurice N. Marchon, professeur titulaire à HEC Montréal.

Effet pétrole

Et en prime, le consommateur, dont les dépenses représentent environ 70% de la taille de l'économie - un sommet dans le monde -, bénéficie de la chute du prix de l'essence, qui agit comme une baisse de la taxe de vente.

Au Canada, l'effet pétrole est mixte. Il favorise le consommateur et certaines industries qui en font grand usage, comme la fabrication et le transport, mais handicape la croissance et les finances publiques de l'Alberta, de la Saskatchewan et de Terre-Neuve-et-Labrador.

La gamme de biens exportés a déjà commencé à s'élargir au profit des manufacturiers du Québec et de l'Ontario, dont les principaux débouchés sont les États-Unis et les exportations interprovinciales.

En outre, le choc pétrolier doit être bien mesuré. Le Canada produit en dollars canadiens et vend en dollars américains. Cela lui donne un bon coussin. Sans compter que l'écart de prix entre le West Texas Intermediate (WTI, le pétrole de référence américain) et le West Canada Select (WCS, son pendant albertain) ne s'est pas vraiment creusé avec la correction présente.

Reste à voir si le Canada parviendra à tirer son épingle du jeu dans cet important changement de donne, qui signalerait un ralentissement mondial s'il devait perdurer au-delà de quelques mois.

Nouveaux emplois

Il devrait se créer quelque 200 000 emplois l'an prochain, soit un peu plus que cette année. C'est en Ontario que l'effectif devrait surtout gonfler, puisque ses usines sont les plus orientées vers le commerce avec les États-Unis.

Le Québec ne devrait pas trop mal faire avec un peu plus de 30 000 nouveaux emplois, un compte nettement meilleur que celui de cette année.

Nos économistes sont en plein sur le registre du ministre des Finances Carlos Leitao, qui prévoyait mardi une croissance de 1,9% et la création de 31 800 emplois l'an prochain.

Le Canada et le Québec sont sur le point de toucher le plein emploi, compte tenu du potentiel de croissance et du vieillissement de la population. Et puis, pourquoi embaucher davantage quand le coût du capital est si faible à l'heure actuelle?

Matthieu Arseneau note même que le taux d'emploi est maintenant très élevé au Québec, si on regarde la cohorte des 15-64 ans.

Inflation

En fait foi déjà le taux d'inflation canadien, qui dépasse la barre des 2%. Sébastien Lavoie remarque que le prix d'une cinquantaine de produits sur les 173 du panier de l'Indice des prix à la consommation a augmenté de plus de 3% depuis un an.

La baisse du huard ne s'est pas entièrement reflétée dans le prix des biens importés.

La Banque du Canada ne sera pas pour autant pressée de normaliser son taux directeur. La présidente de la Réserve fédérale Janet Yellen préfère prendre un risque sur l'inflation plutôt que sur la croissance. Stephen Poloz, gouverneur de la Banque du Canada, en fait autant, affirme Maurice N. Marchon.

Néanmoins, les taux obligataires à long terme devraient être plus élevés, soutient François Dupuis.

Toutefois, quand la Banque du Japon et la Banque centrale européenne gardent leur taux directeur quasiment à zéro, elles exercent des pressions à la baisse sur les taux de tout le monde.

Ainsi, le crédit restera bon marché et les ménages pourront continuer de s'endetter pour consommer...

Croissance ou déficit zéro

Faut-il choisir entre croissance et déficit zéro quand la première restera modeste et le second, un objectif ambitieux au cours de la prochaine année?

«On ne peut pas être positif à moyen terme sur la croissance du Québec. Son potentiel est faible et il est à la baisse, précise François Dupuis, de Desjardins. L'écart entre la croissance canadienne et celle du Québec va se creuser.»

«On attend encore un regain des investissements privés», souligne Matthieu Arseneau, de la Banque Nationale, préoccupé par la difficulté d'augmenter les rentrées fiscales. Le Plan Nord mettra du temps à se concrétiser avec l'entrée des biens de base dans un cycle baissier.

Bref, concilier croissance et rigueur budgétaire devient un exercice délicat.

«Je suis très pessimiste sur le Québec. La baisse des prix du pétrole et des biens de base va ralentir les investissements un peu partout, rappelle Maurice N. Marchon, de HEC Montréal. La quête du déficit zéro entraîne des restrictions sévères qui vont freiner la croissance.»

Sébastien Lavoie, de Valeurs mobilières Banque Laurentienne, n'est pas de cet avis. «Mieux vaut une petite ponction sur la croissance qu'un dérapage des finances publiques.»

Quel sera l'effet de l'austérité sur la confiance des consommateurs ou sur le désir des entreprises d'investir? se demande-t-il quand même.

À l'opposé du Québec, la situation budgétaire fédérale est enviable. Ottawa s'est donné un coussin de 

3 milliards qui sert à réduire la dette s'il n'est pas utilisé.

C'est unique dans le G7, une réduction de la dette. Même aux États-Unis, le déficit recommencera à augmenter dès 2016.

À trop vouloir le retour à l'équilibre, Québec risque d'aller trop vite et de ne pas avoir les rentrées fiscales sur lesquelles il compte. M. Marchon préconise plutôt un plan de retour à l'équilibre crédible à moyen terme.

François Dupuis prévient que c'est surtout en 2016 qu'on sentira vraiment les effets de l'austérité.

Des risques bien présents

Le métier de prévisionniste est dangereux pour la réputation de ceux qui le pratiquent. Voilà pourquoi chaque scénario économique est assorti des risques susceptibles de le faire déraper s'ils devaient se matérialiser, même en partie. Voici ceux dont se méfient nos experts.

François Dupuis

Vice-président et économiste en chef, Desjardins

Si le prix du pétrole devait rester faible toute l'année, les investissements ralentiraient au Canada. À l'échelle mondiale, c'est encore la zone euro qui pourrait connaître une croissance nulle et être entraînée dans une baisse générale des prix.

Sébastien Lavoie

Économiste en chef adjoint, Valeurs mobilières Banque Laurentienne

En octobre, ce sera la fin de l'accord canado-américain sur le bois d'oeuvre. Les deux épisodes précédents ont été éprouvants pour le Canada. À l'échelle mondiale, quel sera le comportement des producteurs de pétrole devant la chute des prix? Lequel va décrocher en premier, et quand?

Matthieu Arseneau

Économiste principal, Banque Nationale

Les risques géopolitiques sont importants. Qu'arrivera-t-il au Venezuela et au Nigeria avec la baisse du prix du pétrole? Comment la situation évoluera-t-elle en Ukraine, en Syrie et en Irak? Le désengagement des États-Unis crée beaucoup d'inquiétudes et de volatilité.

Maurice N. Marchon

Professeur titulaire, HEC Montréal

Québec veut aller trop vite avec le retour à l'équilibre budgétaire. À l'échelle mondiale, c'est l'Europe: il faut un plan fiscal, parce que l'élastique monétaire est très étiré.