Les restructurations et les fermetures qui se multiplient dans le secteur de la vente au détail de vêtements inquiètent les fournisseurs. Importateurs et manufacturiers craignent de voir leur industrie rapetisser encore davantage. D'ailleurs, certains ont déjà été forcés de se placer à l'abri de leurs créanciers.

«L'impact est assez sévère. Le moral n'est pas au beau fixe. Les fournisseurs se demandent où on s'en va avec tout ce marasme», lance le propriétaire d'une entreprise de fabrication de vêtements de la rue Chabanel qui préfère ne pas être identifié. Comme des dizaines d'autres, il fait partie des créanciers de certains détaillants actuellement en restructuration en vertu de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (LFI).

«C'est sûr que ça heurte l'industrie. Ça effraie nos bons clients qui craignent d'être les prochains [à être en difficultés financières]. Il y a une tension morose», poursuit Elie Abitbol, directeur des ventes de l'importateur Fille à suivre, également sur la rue Chabanel.

Déjà quelques fournisseurs insolvables ont dû faire appel à des syndics. C'est le cas de la société Les Modes Lana-Lee, qui a déposé une proposition à ses créanciers fin octobre. Sur le site web de l'entreprise familiale de troisième génération, on peut lire qu'elle est en affaires depuis 60 ans et qu'elle fournit plus de 1500 clients en Amérique du Nord. Pour sa part, Vêtements Twin Hart s'est placé à l'abri de ses créanciers le 9 octobre.

Les détaillants Joshua Perret, Limité, Vagabond (enseignes Hangar-29, Studio et Revue), Le Jean Bleu, L'Ensemblier et Signal se sont tous placés à l'abri de leurs créanciers ces dernières semaines, a révélé La Presse Affaires la semaine dernière. Ensemble, ces entreprises exploitent près de 300 points de vente et comptent quelque 1700 emplois. Leurs créances combinées frôlent les 30 millions de dollars.

Leurs déboires s'ajoutent à la faillite de Jacob (90 magasins) et aux restructurations judiciaires récentes de Femmes de Carrière et Bedo, entre autres. D'autres entreprises du secteur peinent à tirer leur épingle du jeu, même les plus importantes, cotées en Bourse, comme Reitmans, Bikini Village et Le Château.

Les détaillants québécois dans le secteur du vêtement sont «les plus à risque», confie un vice-président d'une société immobilière possédant d'importants centres commerciaux dans la région de Montréal. «On les surveille, on est aux aguets.» Certains en sont rendus à faire des demandes d'allègement de leur loyer, mais il n'y aurait pas encore de défaut de paiement.

Inquiétudes sur Chabanel

«Normalement, on vit ce genre de situation après les Fêtes. Là, c'est avant, ce qui n'était pas pensable. La marchandise était fraîche!» souligne Elie Abitbol.

«Si les détaillants ferment, les fournisseurs ferment eux aussi. À moins d'une intervention, d'une stimulation du gouvernement, on pense que l'industrie est en voie de subir une réduction drastique», raconte un fabricant de vêtements de la Cité de la mode.

«On entend tous les jours que des entreprises s'apprêtent à quitter la rue Chabanel, poursuit-il. Le 433 Chabanel est à moitié vide.»

Georges Dayan, président de l'entreprise qui possède l'immeuble en question, n'a pas rappelé La Presse.

Seulement dans la liste des créanciers des Entreprises Vagabond, de Rimouski, on retrouve 44 entreprises établies sur la rue Chabanel. Du nombre, 12 louent un espace au 433 et 19 au 555.

Malgré tout, les difficultés vécues par l'industrie québécoise de la mode ne préoccupent pas outre mesure le propriétaire du 555, l'entreprise Marcarko, affirme son responsable de la location, Olivier Cohen. «On a un bon mélange de locataires. Ce n'est pas comme avant, quand c'était 100% mode. On ne s'inquiète pas, mais on reconnaît qu'il faut prendre des précautions et s'adapter.» L'immense immeuble de plus de 1 million de pieds carrés regroupe 160 locataires.

Centres commerciaux

En Beauce, Rolland Veilleux, propriétaire du Groupe RGR (jeans de marques Lois, Black Bull et Becxy b.) fait partie des créanciers de Le Jean Bleu, L'Ensemblier et Vagabond. «Ce sont trois de mes six plus gros clients. C'est clair que ça fait mal. Ça nous force à nous mettre à l'ouvrage pour trouver d'autres marchés.» En tout, les créances s'élèvent à 529 000$.

À son avis, la gourmandise des centres commerciaux est en grande partie responsable de l'actuelle débâcle. «C'est un suicide organisé. Les détaillants font des efforts, mais ce sont les centres d'achat qui collectent. Si les ventes augmentent, le loyer augmente. Si on doit donner nos revenus, qu'est-ce que ça donne de se forcer?»

L'entrepreneur ne craint cependant pas pour l'avenir de son entreprise et se dit convaincu de «sortir encore plus fort» de cette mauvaise période. «Je pourrais pleurer, mais c'est parfaitement normal qu'il y ait des réajustements dans la vie», conclut Rolland Veilleux, philosophe.

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Le recul continue

Selon les plus récentes données de l'International Council of Shopping Centers (ICSC), qui compile les ventes effectuées dans les centres commerciaux, le chiffre d'affaires des magasins de vêtements a diminué en septembre de 4,4% au Québec par rapport au même mois l'an dernier.

Les segments des vêtements pour femmes et pour enfants souffrent encore davantage, avec des reculs de 6,5% et 9,1% respectivement. Les vêtements pour hommes, en revanche, ont connu une hausse de 4,6% de leurs ventes.

Cette tendance baissière dure depuis presque un an, tant au Québec qu'au Canada.

VENTES DE VÊTEMENTS AU CANADA*

Janvier -13,0%

Février -2,9%

Mars -6,3%

Avril -2,5%

Mai stable

Juin +0,8%

Juillet -1,6%

Août +1,1%

Septembre -0,8%

*Au pied carré, variation sur un an

Source : ICSC

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Les actionnaires essuient des pertes

La baisse des ventes de vêtements se fait sentir en Bourse, où les titres de détaillants québécois sont malmenés.

Depuis deux ans, Reitmans [[|ticker sym='T.RET'|]] a fermé près de 10% de ses magasins, soit 80. Son titre est passé d'environ 12$ à 6$ pendant la même période. Celui de Bikini Village [[|ticker sym='T.GBV'|]] (52 magasins) a perdu tant de valeur qu'il a été radié de la Bourse de Toronto avant de faire le saut sur la Bourse de croissance le 13 novembre. Il est passé de 3$ à 50¢ depuis janvier. Au cours des six premiers mois de son exercice, les ventes comparables ont reculé de 5,8%. La perte nette s'est élevée à 1,5 million (81¢ l'action) surdes ventes de 18 millions.

Quant à Le Château [[|ticker sym='T.CTU.A'|]] (227 magasins), la valeur des actions a été coupée en quatre depuis le début de l'année. Elles s'échangent pour un peu plus de 1$. Le chiffre d'affaires pour la période de six mois close le 26 juillet a baissé de 8,3%. La perte nette a atteint 16 millions ou 57¢ l'action, ce qui se compare à une perte nette de 26¢ l'action au cours de la même période en 2013.