La position dominante qu'aura Québecor (T.QBR.B) à la suite de l'acquisition de Vision Globale suscite certaines inquiétudes dans le milieu de la production et elle pourrait faire l'objet d'un examen par le Bureau de la concurrence.

Québecor devrait annoncer cette semaine le rachat de Vision Globale, le groupe qui avait acquis les Studios Mel's en 2012 pour environ 80 millions de dollars. Cette transaction permettra au conglomérat de mettre la main sur 18 studios de tournage et sur le plus important service de location d'équipements audiovisuels et de postproduction de la province.

Le Bureau de la concurrence doit être avisé de toutes les transactions dont la cible détient des actifs de plus de 82 millions de dollars. L'organisme peut toutefois se pencher sur les acquisitions de moindre envergure, surtout lorsqu'elles entraînent une forte concentration dans un secteur donné, a expliqué hier la porte-parole, Mélanie Beauchesne.

«Selon la Loi sur la concurrence, toutes les fusions, quels que soient leur ampleur et le secteur économique concerné, sont assujetties à un examen du commissaire de la concurrence afin de déterminer si elles sont susceptibles d'empêcher ou de diminuer sensiblement la concurrence», a souligné Mme Beauchesne.

La porte-parole ne s'est pas prononcée sur la transaction entre Québecor et Vision Globale, dont on ignore pour l'instant le montant exact. Mais elle cite au moins trois cas récents où un examen a été fait par le Bureau, même si la valeur des actifs était inférieure à 82 millions. Elle mentionne le dossier Eastlink-Bruce Telecom, la transaction entre Bell Aliant et Ontera, et un projet d'acquisition de CCS Corporation dans le secteur de l'enfouissement de déchets, aujourd'hui devant la Cour suprême.

Inquiétudes

Le rachat de Vision Globale viendra ajouter un nouveau volet à l'empire médiatique de Québecor. Le groupe - qui possède déjà Vidéotron, le réseau TVA, Le Journal de Montréal et une série de publications - pourra profiter à sa guise des vastes studios de Mel's, où sont déjà tournées certaines des émissions de TVA.

Québecor deviendra aussi un fournisseur de services majeur dans les secteurs de la postproduction et de la location d'équipements, à moins de morceler Vision Globale à la suite de l'acquisition. Une concentration des pouvoirs qui soulève des inquiétudes chez «plusieurs producteurs», observe Denis Paquette, président de Cinépool, propriétaire de 12 studios à Montréal et d'un service de location d'équipements.

«Est-ce que Québecor va donner carte blanche aux producteurs privés? a-t-il demandé. Parce qu'il y a beaucoup de producteurs privés qui font du contenu pour TVA. Est-ce que Québecor va obliger TVA à dire à ces producteurs-là: vous allez aller tourner dans nos studios avec nos équipements? Ça, je ne le sais pas.»

De son côté, Michel Trudeau, producteur chez Aetios, la boîte derrière les succès 30 Vies, Unité 9 et Trauma, ne s'émeut pas outre mesure de cette acquisition par Québecor. Son entreprise fait déjà affaire avec Vision Globale depuis des années et il n'entrevoit pas de changements majeurs. «Comme producteur, Québecor était notre client. Là, ils vont devenir notre fournisseur», a-t-il résumé.

«Ça pose problème quand ils sont des acheteurs de contenu, mais pas quand ils sont des vendeurs de services, a ajouté M. Trudeau. Si ça ne fait pas notre affaire, on va trouver des ressources ici ou ailleurs et on va aller encourager les autres.»

Proprio québécois

Comme plusieurs autres acteurs de l'industrie, Michel Trudeau salue le fait que Vision Globale restera entre des mains québécoises. Rappelons que l'autre acheteur en lice pour acquérir l'entreprise était le fonds américain Clearlake Capital.

Hans Fraikin, commissaire national du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec, espère quant à lui que Québecor saura faire les changements nécessaires pour augmenter l'attrait des Studios Mel's. «Si la transaction se réalise, ce serait bon si Québecor peut investir dans la modernisation des studios. Il faut investir sur cet aspect.»

M. Fraikin apporte néanmoins quelques nuances. «Du point de vue du développement industriel, ç'aurait été intéressant que quelqu'un d'autre construise d'autres studios. Il serait souhaitable qu'il y ait d'autres studios au Québec, sauf que c'est cher et risqué.»

Andrew Lapierre, président de Vidéo MTL, considéré comme le principal concurrent des Studios Mel's, salue pour sa part la fin prochaine de l'incertitude entourant le sort de Vision Globale, en suspens depuis le printemps. «C'est important que ce soit stable, parce que dès qu'il y a de l'instabilité, les Américains décident de ne plus venir.»

- Avec la collaboration de Vincent Brousseau-Pouliot