Tandis que la plupart des provinces s'échinent à rétablir l'équilibre budgétaire, Ottawa songe à réduire le fardeau fiscal des Canadiens à même des surplus dont il sous-estime délibérément l'ampleur.

Les économistes de la Banque TD calculent que, si rien n'était changé, Ottawa s'apprête à dégager des excédents budgétaires de 71 milliards de dollars d'ici 2020, soit 39 milliards de plus que ceux projetés dans le Plan budgétaire du dernier budget de feu James Flaherty.

On peut lire l'étude de la TD à l'adresse suivante: www.td.com/francais/document/PDF/economics/special/Federal_Fiscal_Outlook_fr.pdf.

L'écart considérable s'explique par une sous-estimation prudentielle d'Ottawa dans ses prévisions de revenus, par une croissance économique qui sera plus soutenue que celle prévue, croissance qui va elle-même entraîner une augmentation plus rapide de la taille de l'assiette fiscale. On associe la ci-devant au PIB nominal, soit la valeur des biens et services produits en un an, exprimée en dollars courants.

Que faire de toute cette manne? Le gouvernement conservateur écarte jusqu'ici l'augmentation des transferts aux provinces au profit de ses promesses, tels le fractionnement du revenu des ménages ayant des enfants de moins de 18 ans ou l'augmentation à 10 000$ du plafond de cotisation à un compte d'épargne libre d'impôt, fixé maintenant à 5500$.

Ces mesures ont pour fâcheuse caractéristique de ne pas libérer d'espace fiscal récupérable par les provinces, comme aurait pu l'être une diminution de la taxe sur les produits et services.

En fait, ces mesures, et d'autres comme l'augmentation du crédit d'impôt pour la condition physique des enfants, sont susceptibles de coûter de l'argent aux provinces, qui seront pressées de normaliser leur fiscalité avec celle d'Ottawa.

Ces pressions fiscales s'ajouteraient à la diminution de la croissance des transferts en santé, à compter de 2017. De 6% par année qu'elle était jusqu'ici, elle sera fixée au plus élevé des deux chiffres suivants: 3% ou l'augmentation du PIB nominal.

Les optimistes pourront se réjouir que la TD prévoie une augmentation de 4,1%, 3,8% et 3,7% du PIB nominal en 2017, 2018 et 2019, puisque c'est plus de 3%.

Les pessimistes argueront plutôt que ce taux est même inférieur à la projection budgétaire de M. Flaherty et, surtout, bien moindre que les 6% de maintenant.

Il est d'ailleurs significatif que le poids des transferts fédéraux aux provinces par rapport au PIB nominal ne varie pas d'ici 2019-2010. Selon les projections de la TD, il reste à 3,2%.

L'été dernier, le premier ministre Philippe Couillard s'est résigné à ce que la croissance des transferts fédéraux ne soit bientôt plus celle d'aujourd'hui, se démarquant ainsi de son prédécesseur libéral Jean Charest, très pugnace à cet égard.

M. Couillard pourrait néanmoins faire sienne la recommandation faite par trois économistes, dont le président de sa commission sur la fiscalité, Luc Godbout. Avec Jean-Pierre Aubry et Pierre Fortin, il proposait de tenir compte de la courbe démographique dans la distribution des transferts. Ottawa pourrait ainsi verser un paiement par habitant pour les moins de 65 ans et un autre, beaucoup plus élevé, pour les 65 ans et plus, sans augmenter l'enveloppe globale. Cela favoriserait une province dont la population vieillit davantage, comme le Québec.

Il pourrait aussi expliquer et mieux propager les revendications du Québec pour la prochaine renégociation de la formule de péréquation. Dans le Plan budgétaire présenté au printemps par le ministre des Finances Carlos Leitao, il est proposé de lever graduellement le plafonnement de l'enveloppe de la péréquation à l'augmentation du PIB nominal.

Ce plafonnement a été imposé unilatéralement par Ottawa en 2008 pour maîtriser l'augmentation de ses dépenses. Ce faisant, il crée des distorsions dans la péréquation, en ne prenant pas totalement en compte les écarts grandissants dans la capacité fiscale des provinces, selon qu'elles soient ou non productrices de pétrole. Pour l'exercice en cours, ce plafonnement entraîne un manque à gagner de 1,1 milliard pour le Québec par rapport à la formule de péréquation de 2007.

La proposition de Québec coûterait moins à Ottawa, en termes relatifs, que ce qu'il devait verser avant sa réforme.

Le professeur d'économie Serge Coulombe propose une solution plus musclée. L'Alberta ayant besoin du Québec pour exporter son pétrole, ce dernier «devrait lier l'acceptation de transporter le pétrole albertain, ou tout autre pétrole en provenance de l'Ouest, sur son territoire à une réforme en profondeur de la péréquation», écrit-il dans la dernière édition de l'ouvrage collectif Le Québec économique.

L'Alberta est pressée, comme en fait foi l'inquiétante présence répétée de superpétroliers sur le Saint-Laurent.

Qu'attend Québec pour élever le ton avant qu'Ottawa n'ait tout redistribué en mesures fiscales plus électoralistes que fédératives?