Durant un cours, à son premier trimestre au Collège Dawson, David Baazov et ses camarades de classe ont été appelés à faire une analyse de cas en s'appuyant sur un ouvrage financier. La discussion s'est animée quand Baazov a remis en question certains principes du livre. Convaincant, il a rallié la classe en entier derrière lui, avant de réaliser qu'un des coauteurs du livre était son professeur. Ce dernier l'a fait venir dans son bureau après coup pour lui dire qu'il n'avait jamais vu un élève maîtriser la matière de cette façon.

Le professeur lui a fait comprendre qu'il perdait son temps en classe, et David Baazov l'a pris au pied de la lettre. Il a décroché pour se lancer en affaires.

Après avoir exploré différentes avenues avec son ami Benjamin Ahdoot (aujourd'hui responsable du développement des affaires internationales chez Amaya), David Baazov a fondé ce qui allait devenir Amaya.

À ses débuts, l'entreprise fabriquait des tables de poker électronique, qu'on retrouvait principalement sur des navires de croisière.

Croissance rapide

La croissance rapide d'Amaya au cours des dernières années (six acquisitions) s'est effectuée alors que Baazov, qui habite dans l'ouest de l'île de Montréal, s'est marié et a eu quatre enfants.

Fils d'un ouvrier de la construction de la République de Géorgie, David Baazov est né en Israël, puis a débarqué à Montréal avec ses parents à l'âge de 2 ans.

Un analyste montréalais qui est allé à Las Vegas avec David Baazov raconte à quel point il a été frappé de voir comment celui-ci réussit à s'intégrer à un groupe et avec quelle facilité il arrive à s'entendre avec les gens de l'industrie.

«Le secteur du jeu dépend beaucoup des relations interpersonnelles. Il est primordial de savoir avec qui vous pouvez travailler et à qui vous pouvez faire confiance», explique Neil Linsdell, de l'Industrielle Alliance.

«David Baazov semble très à l'aise là-dedans. Il offre le produit dont les gens ont besoin et sait comment le vendre. Il sait travailler avec les gens, en plus de savoir comment négocier.»

Trilingue (il parle français, anglais et hébreu), il a trois frères et deux soeurs, et il ne cherche pas à attirer l'attention. Son entourage a toutefois commencé à le préparer à devenir une personnalité médiatisée, puisqu'il est sur le point de devenir le prochain milliardaire du Québec, dans la foulée de l'annonce de la mégatransaction (achat de Rational Group, l'exploitant de PokerStars) qui fait d'Amaya un acteur majeur à l'échelle mondiale dans le jeu en ligne.

Sa fortune personnelle s'est appréciée de plus de 150 millions de dollars en deux jours cette semaine, à la suite du bond de près de 25% enregistré par le titre d'Amaya en Bourse, lundi et mardi. La valeur de ses actions s'est approchée, hier, de la marque des 800 millions de dollars.

Prudent, il refuse d'accorder des entrevues avant la clôture de la transaction, prévue sous peu. Les actionnaires d'Amaya se réunissent d'ailleurs ce matin à Montréal pour approuver les résolutions relatives à l'acquisition et à son financement.

Les gens à qui nous avons parlé qui connaissent David Baazov le perçoivent comme un visionnaire. Sa capacité à cibler des occasions et à les saisir semble au coeur de son succès.

«Il est très dynamique et montre beaucoup de confiance en lui», lance un financier qui travaille à Bay Street, à Toronto, et qui l'a rencontré à plusieurs reprises.

«Il connaît exceptionnellement bien le marché dans lequel il opère. Il pense de façon très stratégique pour générer de la croissance et pour trouver les bonnes cibles d'acquisition. C'est un bagarreur parce qu'il n'hésite pas à prendre des risques et parce qu'il fait ce qu'il doit faire pour atteindre ses objectifs.»

La firme Cote 100, de Saint-Bruno-de-Montarville, a investi dans Amaya lors du premier appel public à l'épargne, il y a quatre ans. Le gestionnaire de portefeuille Philippe LeBlanc a pu rencontrer David Baazov. «C'est un gars très ambitieux et très dynamique. Il est vite sur ses patins et sait compter. Toutes les transactions qu'il a réalisées jusqu'à maintenant sont très logiques», dit-il.

Un autre gestionnaire de portefeuille qui connaît David Baazov le trouve toutefois difficile à suivre. «Il est très fonceur, dans le même moule que les jeunes entrepreneurs qu'on voit surgir dans les domaines connexes à internet. Ces jeunes qui voient une opportunité et qui foncent. Il est impressionnant, mais tu te demandes toujours s'il sera en mesure de bien tenir la barre.»

Mais comme le souligne Neil Linsdell, «tout ce que David Baazov a touché jusqu'à maintenant s'est transformé en or».

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Un homme bien entouré

David Baazov n'est membre d'aucun autre conseil d'administration que celui d'Amaya, mais son succès pourrait bien lui valoir des invitations de Québec inc. ou d'ailleurs.

«Plusieurs entreprises vont le vouloir à leur conseil d'administration», prédit un expert qui travaille dans une grande institution financière.

«Je commence à voir des compagnies qui veulent surfer sur la même vague et suivre ses traces. Beaucoup de gens veulent bâtir le prochain Amaya ou être achetés par Amaya», dit-il.

«C'est probablement surréel pour lui de réaliser à quelle vitesse les choses se bousculent.»

David Baazov aura 34 ans dimanche. C'est jeune pour être à la tête d'une entreprise qui vaut près de 3 milliards de dollars. Mais les observateurs soulignent qu'il sait s'entourer et utiliser son réseau de contacts.

En 2010, David Baazov n'avait pas encore 30 ans et Amaya était loin de ce qu'elle est aujourd'hui quand il a pu convaincre le général américain Wesley Clark de se joindre au conseil d'administration.

Depuis qu'il a pris sa retraite, après 38 ans de service dans l'armée américaine, et participé à la course à l'investiture démocrate au début des années 2000, le général Clark s'est tourné vers le monde des affaires. Il a lancé une entreprise de services-conseils stratégiques qui porte son nom à Little Rock, en Arkansas, et a été invité à siéger à plusieurs conseils d'administration.

L'an passé, Wesley Clark s'est joint au Groupe Blackstone à titre de conseiller principal. Le bras de crédit de Blackstone est d'ailleurs un des acteurs-clés du montage financier qui doit permettre à Amaya d'acquérir le propriétaire des sites PokerStars et Full Tilt Poker.

Pour le gestionnaire de portefeuille Guy LeBlanc, de la firme Cote 100, la présence du général Clark au conseil d'Amaya pourrait aider l'entreprise dans ses visées sur le marché américain. «Wesley Clark est un homme influent aux États-Unis», souligne-t-il.

«Avec Wesley Clark à tes côtés, il est facile d'avoir accès à des dirigeants de gouvernements partout dans le monde», ajoute un proche collaborateur de David Baazov.

Noms reconnus

«David Baazov était très jeune quand il a fondé Amaya et a peut-être réalisé qu'il avait besoin de noms reconnus avec lui, de gens établis avec des cheveux gris pour l'aider à valider les décisions et préparer les projections de croissance», commente l'analyste Neil Linsdell, de l'Industrielle Alliance.

Le conseil d'administration d'Amaya compte trois autres membres, dont un autre Américain.

Harland Goodson est avocat et ancien directeur de la Division of Gambling Control de la Californie. Il est spécialiste dans le droit et la réglementation des jeux de hasard et les affaires gouvernementales.

Divyesh Gadhia a été chef de la direction et vice-président du conseil directeur de Gateway Casinos&Entertainment.

Daniel Sebag est comptable agréé et supervise les fonctions de communication de l'information financière, de trésorerie et de conformité chez Amaya. Il y est entré en 2007 à titre de chef des finances et a aussi enseigné la comptabilité à l'Université McGill.

Un sixième membre doit s'ajouter au conseil. La candidature d'Aubrey Zidenberg, spécialiste de l'industrie des jeux de hasard, sera proposée aujourd'hui lors de l'assemblée des actionnaires. Il est président et chef de la direction de Casino Amusements Canada.

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AMAYA EN SIX DATES

2004

Fondation de la compagnie à numéro 9138-5666.

2007

L'entreprise devient Gametronix au printemps. À l'automne, elle prend le nom de Groupe de jeux Amaya.

2010

Inscription en Bourse à Toronto,

2011

Acquisition pour 22,7 millions de Chartwell Technology, une entreprise notamment spécialisée dans le développement de jeux.

2012

Acquisition pour 177 millions de Cadillac Jack, un fournisseur de produits et de technologies destinés au marché du jeu mondial; achat pour environ 32 millions de OnGame Network, un réseau de jeux de poker interentreprises en ligne; et acquisition pour 35 millions de Cryptologic, un fournisseur de logiciels de jeux sur internet.

2014

Acquisition pour 25 millions de Diamond Game, un concepteur de produits reliés aux jeux pour les secteurs de la loterie et des jeux de casino, et projet d'acquisition de 4,9 milliards de Rational Group, l'exploitant du site PokerStars.