Malgré l'augmentation un peu plus rapide que prévu du coût de la vie des ménages, la Banque du Canada n'est pas à court d'arguments pour continuer de se tourner les pouces.

L'indice des prix à la consommation (IPC) était en hausse annuelle de 2,3% en mai, alors qu'il se rapprochait du zéro à l'automne. Pourtant, si le spectre de la déflation est bel et bien disparu, l'ombre de celui d'une hausse galopante des prix n'a pas été aperçue par la moindre cassandre.

Vrai, à 2,3%, le taux d'inflation dépasse la cible de 2% visée par la Banque qui, en avril, n'en voyait pas l'atteinte avant l'hiver.

Vrai encore, l'inflation sous-jacente, celle qui subsiste lorsqu'on retranche du panier de biens et de services ses huit composantes les plus volatiles comme les fruits et légumes frais et transformés, l'essence, le gaz naturel ou le transport interurbain, augmente aussi plus vite que le scénario esquissé par la Banque en avril. À 1,7% en mai, son taux est un demi-point plus élevé que sa prévision trimestrielle.

Des facteurs conjoncturels avaient été évoqués pour expliquer la désinflation observée durant l'automne: baisse des prix de l'essence ou concurrence accrue parmi les détaillants, par exemple. Autant d'éléments qui se sont inversés ou ne se sont pas attisés.

La Banque accorde sans doute plus d'importance aux résultats de son enquête trimestrielle sur les perspectives des entreprises (EPE), qui montre que bien peu d'entreprises sentent de la pression sur les coûts de leurs intrants et bien moins encore sur leurs capacités d'imposer des hausses de prix.

Bref, si tous ces éléments éloignent la possibilité d'une baisse du taux directeur, ils ne représentent aucune menace susceptible de justifier une hausse.

La Banque peut aussi plaider que le taux des capacités de production inutilisées (ce qu'elle appelle l'écart de production négatif) a encore augmenté durant l'hiver. Le produit intérieur brut a crû à 1,2% en rythme annuel, alors que la Banque s'attendait à 1,5%. Le taux de croissance potentielle est estimé aux environs de 1,9%.

Les chiffres de l'emploi sont d'ailleurs là pour témoigner de la mollesse de la croissance depuis un an maintenant. Il s'est créé en moyenne 8800 emplois par mois cette année, le rythme le plus lent depuis 2010, alors que l'économie n'avait pas encore amorcé sa phase d'expansion.

Et la Banque n'aura pas manqué de décortiquer les chiffres du PIB: sans une chute des importations plus forte que la baisse des exportations, le PIB se serait contracté durant l'hiver, tout comme celui des États-Unis, qui a rapetissé de 2,9% en rythme annuel.

Voilà qui va obliger la Banque à réduire sa prévision de croissance de notre voisin pour 2014. Même avec le rebond ressenti au printemps, la barre des 2,8% paraît bien trop haute.

Par contre, sa prévision de 2,3% pour le Canada tient la route. Surtout que le commerce extérieur s'est ranimé au printemps, à la lumière des données disponibles. En avril, par exemple, le volume des exportations a augmenté de 4,2%, celui des importations, de 2,4%.

La Banque analyse d'un bon oeil la volonté des entreprises d'accroître leurs achats d'équipement et de matériel, comme semble l'indiquer l'EPE.

Tout comme elle sera un peu soulagée par le plafonnement du niveau d'endettement élevé des ménages observé depuis plusieurs mois maintenant, malgré des assouplissements aux conditions d'octroi de prêts par les institutions financières, concurrence oblige. Cela lui permet aussi de gagner du temps. Au final, le gouverneur Stephen Poloz va livrer un message dans lequel il va reconduire sans surprise son taux directeur, fixé à 1% depuis septembre 2010.

Pour ce faire, il trouvera les mots pour infléchir le cours du dollar canadien, dont la force relative est sa bête noire. La hausse du huard peut être vue comme le reflet de l'amélioration de l'économie globale en général. Mais à près de 94 cents US, c'est aussi un niveau jugé apte à ralentir la timide reprise des exportations.