Ce printemps, le site de carrières Glassdoor a recensé les 50 patrons les plus appréciés. À la question «Appréciez-vous la façon avec laquelle votre patron gère l'entreprise?», 100% des employés de LinkedIn ont répondu oui. Une fleur pour Jeff Weiner! Les patrons de Ford, Edelman, Costco, Goldman Sachs, Starbucks et Facebook se retrouvent également dans le top 10. Ils ont décroché une note de plus de 90%.

À une époque où la force de travail est plus restreinte que le nombre d'emplois disponibles, les patrons redoublent d'efforts pour se montrer sous leur meilleur jour. Se retrouver au sommet du palmarès de Glassdoor symbolise une prise de conscience des attentes, désirs et besoins de ses employés.

«Les jeunes ont le choix, les plus vieux prennent massivement leur retraite, dit Jean-François Ouellet, animateur de Génération INC. et auteur du livre Le bonheur comme plan d'affaires. Quand on est un mauvais patron, ça se sait. Si on véhicule des valeurs inspirantes en tant que gestionnaire, les gens vont se dévouer corps et âme pour nous. Les employés contents sont les plus loyaux et font mieux leur travail.»

«Les entreprises bien gérées ont une prime à l'embauche, c'est-à-dire qu'elles vont chercher les meilleurs talents et comptent moins de départs», ajoute Richard Joly, président de Leaders&Cie (une firme de chasseurs de têtes).

L'histoire ne dit toutefois pas si «apprécié» fait davantage référence à «aimé» ou «respecté». Pour certains spécialistes, il y a une différence notable entre les deux qualificatifs dans le milieu de travail.

«Il n'est pas nécessaire d'être aimé pour bien faire, mais d'être juste, soutient Luc Brunet, professeur titulaire, programme Psychologie du travail et des organisations de l'Université de Montréal. Il faut avoir de l'éthique et de la sollicitude. Souvent, les gens vont dire: je ne l'aime pas nécessairement, mais avec lui, on sait où on s'en va. Si notre patron travaille pour notre bien et celui de l'entreprise, ça passe.»

«Être aimé? Non! Être respecté, sans l'ombre d'un doute, dit Manon Daigneault, associée consultante de Réseau DOF. Être aimé est un piège dans lequel tombent les nouveaux gestionnaires. On travaille alors à sa popularité. Mais le danger, c'est qu'on demeure populaire tant qu'on dit ce que les autres veulent entendre. C'est humain, mais c'est un pari dangereux. À l'inverse, quand on travaille à être respecté, on travaille pour notre crédibilité et on la maintient quand on a des décisions importantes à prendre.»

Rechercher les deux

Évidemment, des patrons peuvent à la fois être aimés et respectés. Ou, du moins, rechercher les deux. «Je vise une combinaison des deux, même si ce n'est pas réaliste, admet Sylvain Lessard, directeur général de la Caisse Desjardins Richelieu-Saint-Mathias. Au fond, vaut mieux être respecté. Quand des changements surviennent en entreprise, qu'on coupe des postes, on peut conserver le respect des gens en gérant correctement.»

«Les deux sont aussi importants, estime toutefois Michel Grisé, psychologue et formateur de PsyGym. Être aimé fait appel à l'aspect interpersonnel. Être respecté fait appel à l'aspect guide. Comme tout pédagogue, on doit être les deux. On ne peut pas qu'être complice ou encadrant. Il ne faut pas qu'être militaire, sinon on amène des comportements de rébellion.»

Un patron simplement aimé constituerait même un frein à la croissance et la santé de l'entreprise, selon Michel Grisé. «On crée un stress chez les employés si on est trop d'un côté ou de l'autre, poursuit-il. Le patron veut-il de la performance ou de l'amour de ses employés? Quand on recherche un bon degré de performance, si on est trop relationnel, on crée un laisser-aller. Les employés n'ont pas d'objectifs clairs.»

Reste qu'il vaut mieux être les deux ou simplement aimé qu'être totalement à l'opposé! «À l'époque, le patron d'une entreprise manufacturière de Saint-Jérôme n'était ni aimé ni respecté, raconte Jean-François Ouellet. En fait, il était respecté, mais dans le sens de craint. Au-dessus de sa porte, il y avait trois lumières: verte pour «entrez», jaune pour «cognez» et rouge pour «ne pas déranger»! La lumière était tout le temps rouge. Les employés vivaient dans la terreur. Puis, l'entreprise a été rachetée et, subitement, les employés sont devenus plus productifs et l'entreprise, plus profitable.»

La bonne santé psychologique des employés serait une des premières raisons d'être agréable, ouvert et accessible. «Selon Santé Canada, les problèmes de santé mentale en milieu de travail nous coûtent 51 milliards annuellement, dit Michel Grisé. Un demi-million de travailleurs vivent un stress psychologique chaque semaine. Malheureusement, on ne fait pas encore beaucoup de liens entre ces statistiques et la relation patron-employé. Or, une mauvaise relation avec un supérieur immédiat est une cause de détresse psychologique. Même d'accident physique.»

L'effet boomerang

Chaleur, humanité, écoute, suivi, rigueur... Sylvain Lessard et ses cinq gestionnaires de la Caisse Desjardins Richelieu-Saint-Mathias sont secoués, émus, en ce matin de mai.

Leurs employés viennent d'énumérer leurs qualités lors d'un déjeuner reconnaissance bien spécial. L'événement a été préparé avec soin. Chaque gestionnaire a droit à son moment d'éloges. «Nos photos sont apparues à tour de rôle avec 15 qualités», raconte Sylvain Lessard, directeur général de la Caisse.

L'initiative est exceptionnelle. Chaque trimestre, c'est plutôt la direction qui souligne le travail de quelques employés. «On aime entendre de telles choses, admet Sylvain Lessard. C'est rare qu'un patron se fait dire qu'il est aidant et apprécié. L'employé ne veut pas avoir l'air téteux, il y a de la gêne...»

Ainsi, après trois ans d'écoute et d'efforts pour se rapprocher de leurs employés, Sylvain Lessard et ses gestionnaires récoltaient des fleurs. La direction se sentait aimée et respectée. «Une des gestionnaires a vécu une grande émotion, car on la disait parfois inaccessible», raconte Sylvain Lessard.

Auparavant, les employés étaient débordés, partaient souvent en congé de maladie et sentaient qu'ils ne pouvaient communiquer comme ils le souhaitaient avec les gestionnaires. «On me disait: "On ne te voit plus!"», raconte Sylvain Lessard.

«Il y avait beaucoup d'absentéisme. C'est un effet d'entraînement. On ne voyait plus la fin. On a alors fait une réflexion sur le stress au travail et la gestion de la santé avec un spécialiste. On a offert des consultations individuelles gratuites avec nos employés. On a constaté que l'approche personnelle, la reconnaissance individuelle, les bonjours du matin étaient souhaités encore plus que la reconnaissance trimestrielle.

«On s'est appliqué à parler aux gens et à reconnaître les performances de chacun. Les employés ont vu qu'on s'en faisait.»

La gratitude et l'engagement des employés se sont graduellement fait sentir. «Ce que j'enseigne surtout à mes clients, c'est la loi du boomerang, explique Michel Grisé, psychologue et formateur de PsyGym. Si on veut obtenir quelque chose des employés, on doit le valoriser nous-mêmes. Comme Gandhi le disait: soyez le changement que vous voulez voir dans le monde.»

En janvier dernier, Sylvain Lessard a même instauré les Déjeuners du DG, question de se montrer davantage à l'écoute de ses troupes.

«Je veux savoir ce qui les préoccupe, dit-il. Une mobilisation, ça se travaille à deux. Aidez-nous à vous aider. Soyez francs. On m'a, par exemple, parlé de l'installation d'une douche, élément utile pour les employés qui viennent travailler en vélo. On est à évaluer les coûts et l'espace requis. On est en période d'austérité, les taux d'intérêt sont bas, donc j'ai moins de marge de manoeuvre depuis trois ans. Mais c'est un bel investissement plus qu'une dépense. Cela dit, je ne pourrai pas toujours dire oui.»

Aujourd'hui, la Caisse Desjardins Richelieu-Saint-Mathias compte une seule absence de maladie. «Mais c'est pour un problème physique, précise M. Lessard. On a zéro burn-out. On veut que les gens soient présents et en forme. On veut être avertis quand les lumières sont jaunes et non rouges. Quand tout le monde y met du sien, ça a de beaux effets.»

Le DG s'est-il attiré l'amour et le respect de ses 45 employés grâce à ces ajustements? «J'avais déjà l'impression d'être respecté, répond Sylvain Lessard, mais ce déjeuner de mai me l'a confirmé.»

Conseils pour être un patron respecté

Selon Richard Joly, président de Leaders&Cie et Manon Daigneault, de Réseau DOF :

• Être intègre et juste. Le gestionnaire doit faire ce qu'il dit.

• Avoir de l'empathie.

• Avoir de la sensibilité interpersonnelle pour communiquer.

• Avoir un sens organisationnel et penser globalement. Savoir prévoir l'impact d'une décision sur différents départements.

• Prendre le blâme pour les erreurs et donner le crédit à ses équipes pour le succès.

• Être présent physiquement et auprès des employés.

• Être équitable, car les perceptions d'iniquité sont extrêmement dommageables.

• Faire preuve de courage, soit la capacité d'agir malgré la peur et les embûches.

Ils ont dit...

«La différence entre la rémunération des patrons et celle des employés ne joue pas sur le respect et l'amour qu'on a pour un patron, si on reconnaît qu'il est payé au mérite.»

- Luc Brunet, professeur titulaire, programme Psychologie du travail et des organisations de l'Université de Montréal

«Quand un patron est respecté, les gens travaillent en premier lieu pour lui. Une des raisons pour lesquelles on se syndique, c'est que le patron est jugé par ses employés comme n'ayant pas un bon comportement.»

- Richard Joly, président de Leaders&Cie

«Les gestionnaires qui arrivent aux meilleurs résultats sont ceux qui ont une main de fer dans un gant de velours. Ceux qui savent tenir les deux, l'amour et le respect des employés. On apaise le cerveau humain pour stimuler la performance.»

- Michel Grisé, psychologue et formateur de PsyGym

«On peut être très productif avec un fouet, mais aussi quand on est heureux! Plus on est souriant, plus c'est contagieux. Et ce, jusqu'à la clientèle. C'est banal, mais ça peut faire une énorme différence. Ce qui fait, par exemple, qu'un resto fonctionne, qu'on revient, c'est bien sûr la qualité de la nourriture, mais surtout le facteur humain.»

- Jean-François Ouellet, animateur de Génération inc. et auteur du livre Le bonheur comme plan d'affaires, Oser entreprendre pour être heureux