On surnomme paradis fiscaux les États où le taux d'imposition est nul ou quasi nul.

Les îles anglo-normandes Jersey et Guernesey, le Liechtenstein ou Andorre sont souvent taxés d'être des havres pour échapper au fisc. Les îles caraïbes britanniques telles les Bermudes, Caïmans, ou Turques-et-Caïques, de même que les anciennes colonies antillaises de sa Gracieuse Majesté comme les Bahamas, Trinité-et-Tobago ou la Barbade sont aussi du nombre.

Ce qu'on sait moins, c'est le rôle majeur qu'ont joué le Canada et, avant tout, les banques canadiennes dans l'édification de refuges confortables pour capitaux et fortunes allergiques à toute ponction fiscale.

C'est à cette illustration que se livrent Alain Deneault et plusieurs de ses collègues du Réseau pour la justice fiscale dans Paradis fiscaux: la filière canadienne - Barbade, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario...

Eh oui, le Canada aussi se montre pour le moins accommodant, en matière d'impôt que devraient payer ses sociétés à tout le moins. «À force de complaisance, le Canada passe désormais lui-même pour un paradis fiscal», lit-on même d'entrée de jeu dans ce livre charnu, solidement documenté et au ton très polémiste.

Dès les débuts de la Confédération, rappelle-t-on, des succursales des banques Royale, Scotia et CIBC s'implantent dans les Caraïbes, au service des marchands britanniques. Elles y façonnent même les règles fiscales et les lois sur le secret bancaire.

Deneault et compagnie racontent aussi comment chaque île se voit confier une spécialité, bien que toutes partagent un grand souci d'accueillir des capitaux qui ne contribuent guère à l'expansion des économies locales.

Repaire du crime organisé, les Bahamas développent une industrie du jeu qui sert d'écran au blanchiment d'argent. Les banques Royale et Scotia y brassent de bonnes affaires.

Les îles Caïmans sont développées comme un sanctuaire de la finance offshore, là où s'épanouissent les fonds spéculatifs. Malgré sa population d'à peine 45 000 personnes, la capitalisation de sa Bourse atteint 169 milliards! En 2009, l'archipel était considéré comme le cinquième centre financier de la planète. C'est à deux Canadiens qu'on doit l'architecture de ce succès, l'Albertain Jim MacDonald qui y scelle le secret bancaire et le Québécois Jean Doucet qui y développe la spéculation sur les eurodollars.

Ce sont aussi des Canadiens qui développent les zones franches de la Jamaïque pour permettre à Alcan d'y exploiter la bauxite à l'abri du fisc local.

La Barbade devient la troisième destination des capitaux canadiens, après les États-Unis et le Royaume-Uni. Un traité entre les deux pays permet aux sociétés canadiennes d'y payer leurs impôts, très minimes il va sans dire, même si elles n'y produisent rien.

Cela montre bien, selon l'essayiste, comment le Canada agit de concert avec ces États insulaires pour soustraire ses entreprises à son propre fisc.

En fait, le Canada parle même au nom de la plupart des paradis fiscaux caraïbéens quand il siège au Fonds monétaire international. «Que le Canada s'allie à eux en fait effectivement un partenaire développant dans sa propre législation les échappatoires qui permettent à son establishment financier de contourner des règles pourtant imposées aux membres des autres catégories et classes sociales», souligne Deneault.

L'essai débouche sur une critique des travaux des chercheurs canadiens qui n'embrassent pas les lois internationales et les traités pour expliquer la nature beaucoup plus vaste de l'évasion fiscale que l'économie souterraine.

Il suggère même que trop d'entre eux agissent aussi comme conseillers des gouvernements qui sont pourtant des facilitateurs de l'évasion par les lois qu'ils adoptent ou les traités bilatéraux qu'ils paraphent et signent.

Il conclut son essai par des recommandations qui plairont aux lecteurs, mais qui font avant tout ressortir que le métier de fiscaliste a beaucoup d'avenir...

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Alain Deneault, Paradis fiscaux: la filière canadienne - Barbade, Caïmans, Bahamas, Nouvelle-Écosse, Ontario... Écosociété, 391 pages.