Le quotidien Libération, aux ventes en chute libre et financièrement en péril, va connaître une semaine cruciale, avec le lancement d'un plan d'économie drastique, des baisses de salaires et l'arrivée probable au directoire de François Moulias, représentant des actionnaires, pour redresser les comptes.

Les ventes du quotidien de gauche, qui fête ses 40 ans et compte actuellement 290 salariés, ont chuté de plus de 15 % sur les 11 premiers mois de 2013 et sont tombées en novembre sous les 100 000 exemplaires, à 97 299, le pire score depuis au moins 15 ans. Grevé de 6 millions d'euros de dettes, il devrait perdre 1 à 1,5 million en 2013 et ne dispose que de quelques mois de trésorerie.

Mais ses actionnaires - principalement les hommes d'affaires Bruno Ledoux, Édouard de Rothschild et le groupe italien Ersel - ont refusé de le renflouer. D'où un plan d'économies de 4 millions d'euros déjà détaillé par la direction avant Noël, qui sera formellement annoncé cette semaine aux partenaires sociaux.

«Libé va connaître cette semaine une échéance par jour», a expliqué à l'AFP le journaliste Hervé Marchon, délégué SNJ (Syndicat national des journalistes). «La situation est tendue et l'équipe est inquiète».

D'abord lundi matin, un comité d'entreprise où la direction lancera la procédure de consultation sur son «plan d'adaptation des effectifs» et de «retour à l'équilibre». Principale mesure proposée, une baisse volontaire des salaires pendant deux ans, de 10 % en moyenne, graduée selon les rémunérations. Autres propositions, un temps partiel avec baisse de salaires et des aides au départ en retraite anticipée.

Le CE devra donner son avis sur ce plan. «Il sera négatif», a estimé Hervé Marchon. «Le CE va dire ce que nous disons depuis des semaines: ce plan est injuste, car l'effort porte uniquement sur les salariés, et incomplet car nous attendons un plan de développement. C'est très insuffisant pour redresser Libération. Ce jugement est partagé par toutes les instances élues de Libé: CE, Société civile des personnels de Libération et tous les syndicats».

Un geste des actionnaires

Les syndicats espèrent que les actionnaires feront un geste pour aider le journal, en acceptant, par exemple, de financer un guichet départ, ce qu'ils refusent pour le moment.

La direction compte, quel que soit l'avis du CE, appliquer son plan à partir du 15 mars, en proposant les baisses de salaire à chaque salarié. Un déménagement du journal est également évoqué.

La négociation officielle du plan avec les syndicats débutera mardi.

L'artisan du plan, François Moulias, d'abord représentant des actionnaires puis devenu mandataire du directoire, a organisé ces dernières semaines des réunions service par service pour expliquer sa démarche.

«Certains services ont refusé de s'y rendre, l'ambiance est assez tendue», a relevé Fatima Brahmi, déléguée CGT. L'opinion des salariés sur le nouvel homme fort de Libé, qui tente de convaincre, est «très contrastée», a-t-elle estimé.

En novembre, les salariés avaient adopté, à une écrasante majorité, une motion de défiance réclamant le départ des deux membres du directoire, Nicolas Demorand et Philippe Nicolas.

Mercredi est prévue une consultation anonyme du personnel sur les propositions de baisse de salaires «mais il n'est pas certain qu'elle ait lieu», a indiqué Hervé Marchon.

Jeudi se tiendra un conseil de surveillance, où les actionnaires devraient décider le maintien des deux directeurs, mais l'arrivée au directoire d'un troisième membre. Un «manager» chargé de redresser les comptes, qui devrait être François Moulias.

Les élus dénoncent au passage les pressions sur les cadres exercées par M. Moulias pour qu'ils acceptent les réductions de salaire. «Il leur a été clairement dit que s'ils refusaient une baisse de leur salaire, ils seraient licenciés», a déclaré Fatima Brahmi.

Vendredi 10 janvier, dans un communiqué les élus ont protesté contre ces «menaces, brutalités et intimidations». «Nous considérons que l'entrée de François Moulias au directoire, qui a été présentée par lui comme déjà actée, aurait pour conséquence d'empêcher toute forme de dialogue», ont-ils prévenu.