Le marketing est une discipline risquée. La ligne est souvent mince entre un bon coup et un échec. Compte rendu des éclairs de génie et des flops de 2013.

Les Oh!

La Russie, cette «grande démocratie»

Bien avant les discussions sur la loi antigais, Vladimir Poutine a attiré les projecteurs sur son pays en accordant, en janvier, grâce à une bureaucratie ultra-simplifiée, un passeport russe à Gérard Depardieu. Le président a bénéficié de toute une publicité lorsque l'acteur, qui souhaitait quitter la France au même moment pour la Belgique afin d'alléger ses impôts, a honoré «la grande démocratie» qu'est la Russie et aligné des banalités («Je me sens presque russe», «La Russie a besoin de Poutine»). Avec le franc-parler qu'on lui connaît, le porte-parole en a donné plus que le client en demandait à un pays où il veut ardemment faire des affaires et jouer, quitte à se faire prendre pour un «vendu» !

Le thé de Mme Winfrey

Élue marque de l'année par le magazine Strategy, l'entreprise montréalaise David's Tea a connu son moment de gloire lors de la venue d'Oprah Winfrey au Centre Bell, en avril. Devant 15 000 personnes, la populaire animatrice a vanté les qualités du produit, après avoir reçu un panier-cadeau de thé chai à sa chambre d'hôtel. Les compliments ont été repris et rapportés dans plusieurs médias. Mais la plus belle visibilité est venue grâce à une photo d'Oprah avec le cadeau, publiée de sa chambre sur son compte Twitter. L'envoi du panier correspond avec la stratégie marketing de l'entreprise, qui privilégie les réseaux sociaux aux campagnes de pub traditionnelles. Combien vaut une mention de David's Tea sur un compte suivi par 22,5 millions d'abonnés?

Gap contre le racisme

Une pub vandalisée a valu mille commentaires positifs à Gap, en novembre. Outré par des insultes griffées sur un panneau de l'entreprise montrant un mannequin sikh («Arrêtez SVP de conduire des taxis»), le journaliste américain et fondateur du site themuslimguy.com a envoyé l'image prise dans un métro de New York à Gap. Plutôt que de n'exiger qu'un nettoyage de l'affiche, Gap a placé la pub comme photo d'introduction sur son compte Twitter, suivi alors par 311 000 personnes. L'entreprise a su habilement récupérer la situation, a pris position et s'est montrée solidaire d'une communauté qui a apprécié le geste. Cette dernière a notamment créé une page Facebook remerciant le détaillant américain d'avoir fait appel à un mannequin sikh pour sa campagne Make Love.

Véro-la-marque

Véronique Cloutier est officiellement devenue une marque cet automne. Véro inc., c'est une animatrice de télé et de radio, une humoriste, un magazine, une présence constante sur les réseaux sociaux, le sujet d'un documentaire, la porte-parole d'une marque de beauté, un nom payant pour Radio-Canada, TC Média, Jouviance, Rythme FM, L'Aubainerie et Canal Vie. Transformer l'artiste en entreprise officialise l'importance de la vedette et sert d'appât à d'autres contrats lucratifs. Bon coup de Véronique Cloutier et de son conjoint, Louis Morissette! Même si on doute de la nécessité d'une telle autoproclamation publique dans une province qui glorifie difficilement la réussite, et pour une vedette qui a comme principal public des gens qui l'adorent pour son côté accessible.

Oreo aime les black-out

Une panne d'électricité de 34 minutes? Une éternité pour un soir de diffusion du Super Bowl! Pendant que les millions de spectateurs priaient pour que le jeu reprenne lors de la finale de la NFL, en février, Oreo a fait un touché sur Twitter et Facebook. Sachant que le tiers des téléspectateurs consultait un deuxième écran durant le match, l'équipe marketing et réseaux sociaux de la marque a pondu une pub: You Can Still Dunk in the Dark (Vous pouvez quand même tremper votre biscuit dans le noir)! Résultats: des dizaines de milliers de re-tweets et de mentions «J'aime» en quelques minutes, soit un sceau instantané «d'image cool» pour la marque. «On est loin des chiffres du spectacle de la mi-temps de Beyoncé», dixit le magazine Wired, mais Oreo, déjà présent au premier quart à la télé, a ainsi évité un deuxième paiement de 3,8 millions, coût d'un espace publicitaire de 30 secondes au Super Bowl!

Photo archives Agence France-Presse

L'acteur français Gérard Depardieu en discussion avec Vladimir Poutine.

Les Bah!

Anik Jean rate sa cible


La ligne est mince entre le coup d'éclat et le coup raté. Parlez-en à Anik Jean et à Sphère Musique, qui ont vécu un début d'année 2013 tumultueux. Pour promouvoir son nouvel album, la chanteuse a envoyé à 150 journalistes de faux messages de menaces, constitués de lettres découpées dans des journaux. Mais ceux-ci ont malheureusement créé de la peur et de vives réactions plutôt qu'un intérêt pour le produit. Publiquement, la chanteuse a tardé à s'excuser, préférant expliquer une démarche nébuleuse contre l'intimidation et un désir de concevoir une campagne singulière pour faire parler de son album. Parlez-en en bien, parlez-en en mal, qu'on dira?

Par ici, Radio-Canada

Les dirigeants de Radio-Canada auraient probablement préféré être «là-bas» au lendemain du dévoilement de la nouvelle identité de l'entreprise télévisuelle et radiophonique, en juin. Ici... quoi? Ils ont vite réalisé qu'on ne raye pas le nom d'une télé publique sans susciter un tollé et des questionnements - surtout lorsqu'on sait tout l'argent qu'implique un changement de nom et quand on ne revoit que le contenant. Cinq jours après l'annonce controversée, qui a irrité le ministre du Patrimoine canadien James Moore et qui a eu des échos jusque dans le New York Times et Le Figaro, la grande tour revenait sur sa décision... en partie. Le PDG Hubert Lacroix a admis que l'équipe des communications l'avait «échappé».

Photo Simon Séguin-Bertrand, archives Le Droit

Anik Jean.

Suicide peu apprécié de Hyundai

Il y a encore des tabous en publicité. Hyundai l'a constaté, en avril, lors de la promotion de son nouveau modèle ix35 sans émissions de monoxyde de carbone. L'agence du constructeur, Innocean, a mis en ligne un message dans lequel un homme tente de se suicider sans succès dans son garage, moteur allumé. Celui-ci est immédiatement devenu viral, mais pour les mauvaises raisons, lorsqu'une blogueuse a écrit: «La prochaine fois que vous voudrez parler d'une innovation automobile, pensez-y deux fois. Pensez à moi. À mon père. Aux milliers de victimes de suicide et à leurs familles. Mon père n'a jamais conduit une Hyundai. Je n'en conduirai jamais non plus.» Si Hyundai a rapidement condamné à mort la pub (jugée brillante par certains), l'entreprise et Innocean se sont justifiés mollement en clamant que c'était un message-test.

À bas l'utilisation de Berlusconi ou de Hitler

Peut-on associer Berlusconi et Hitler à des marques? Intégrer ces personnages dans des concepts publicitaires? Oui, mais il est très risqué de le faire.

À preuve, Ford et le shampoing Biomen ont tenté le coup... et ont échoué. Pour la voiture Ford Figo, l'agence JWT India a conçu une affiche avec un Berlusconi souriant à bord d'une voiture dans le coffre de laquelle se trouvent trois femmes légèrement vêtues et ligotées. Le slogan: «Laissez vos problèmes derrière vous grâce à Figo!» Or, la publicité a été diffusée au moment où de sordides histoires d'agressions contre les femmes secouaient l'Inde.

Pour le shampoing turc Biomen, on a utilisé des images de Hitler, à qui on a fait dire: «Si vous ne portez pas de robes de femmes, vous ne devriez pas utiliser son shampoing.» La communauté juive de Turquie s'est indignée. Dans le premier cas, Ford s'est excusé en disant que ce n'était pas une pub officielle du constructeur (décidément...). Dans le deuxième cas, le concepteur a avancé que les plaignants manquaient d'humour...

Lululemon? Pas pour toutes les clientes...

Le président du conseil d'administration et fondateur de Lululemon aurait dû tourner sa langue sept fois avant de dire que ses pantalons de yoga Luon, jugés translucides et retirés du marché, n'étaient pas pour tous les corps. Interviewé par Bloomberg Television, en novembre, Chip Wilson a maladroitement justifié un défaut de fabrication avec ces mots: «Le corps de certaines femmes n'est pas adapté pour nos pantalons» et «c'était une question de volume et d'élasticité». Et ce, plutôt que de soutenir que l'entreprise comptait remédier au problème rapidement. Ironiquement, Chip Wilson avait probablement raison, même s'il marchait sur des oeufs pour tenter de ne pas heurter de sensibilités. Mais les millions de pertes encourues, puis les commentaires dans les médias et sur les réseaux sociaux à la suite de la maladresse «linguistique» ont notamment eu raison de M. Wilson, qui a remis sa démission un mois plus tard.