Peu de sujets touchent autant les Canadiens au coeur que le hockey. Ainsi, lorsque Rogers Communications a conclu un contrat de plusieurs milliards de dollars qui viendra changer la façon dont le sport national est télédiffusé, il va sans dire que tout le pays a porté attention.

L'encre venait à peine de sécher sur le document entérinant l'entente de 12 ans avec la Ligue nationale de hockey, qui confère à Rogers les droits télévisuels et multimédias, que les amateurs se sont immédiatement demandés ce qu'il adviendrait de «Hockey Night in Canada», et de la culture du hockey en général.

Mais les répercussions de ce pacte sportif de 5,2 milliards $ se feront sentir au-delà des patinoires en 2014, alors que les plus importantes entreprises médiatiques du Canada sont confrontées à un monde de moins en moins porté à écouter la télévision en temps réel.

Ce nouveau partenariat, qui s'ébranlera la saison prochaine, a éclipsé d'autres nouvelles majeures lors d'une enquête annuelle de La Presse Canadienne menée auprès de rédacteurs en chef et de diffuseurs en vue de la sélection de «la nouvelle ayant marqué le plus le domaine des affaires en 2013».

L'entente conclue en novembre a obtenu la faveur de 48 % des répondants, soit plus du double accordé aux plus récents efforts de relance de BlackBerry, qui ont reçu 23 % des votes.

Le dossier des oléoducs Keystone XL et Northern Gateway a récolté 22 % des votes.

«Rogers a livré une importante entente télévisuelle, comme on en voit aux États-Unis, qui est certainement une première pour un réseau canadien», a noté Christopher Pride, animateur radiophonique à la station CJRW à Summerside, dans l'Île-du-Prince-Edouard.

«Ce pourrait être le début d'un changement majeur dans la façon de regarder le hockey au pays.»

Il est fort possible que le partenariat Rogers-LNH vienne modifier les habitudes télévisuelles et, possiblement, la facture de la télévision par câble du Canadien moyen, même si celui-ci n'est pas un sportif de salon.

Le monde du divertissement sportif est l'équivalent du Saint-Graal pour les diffuseurs parce qu'il s'agit de l'un des seuls secteurs où les annonceurs accepteront de payer d'importantes sommes d'argent pour 30 secondes d'antenne, dans une ère marquée par Netflix, les enregistreurs personnels et la programmation «sur demande».

Il y a dix ans, des émissions telles American Idol généraient d'importantes cotes d'écoute, mais la popularité de telles propriétés s'est effritée, ne laissant aux réseaux que très peu d'alternatives.

«La programmation sportive est le dernier bastion du "visionnage sur rendez-vous", croit Vijay Setlur, un instructeur de marketing sportif à Toronto.

«La LNH est un important morceau du casse-tête pour Rogers.»

Le sport est devenu une priorité du géant des télécommunications après qu'il eut fait l'acquisition des Blue Jays de Toronto, il y a plus de dix ans, et appris une leçon au sujet de la fidélité des amateurs. Rogers oeuvre dans le domaine depuis ce temps et a récemment acheté The Score, une station de télévision sportive que l'entreprise a rebaptisée Sportsnet 360 afin qu'elle cadre dans ses actifs de télévision et radio axées sur les sports.

Toutes ces transactions ont été réalisées à gros prix pour l'entreprise de télécommunications et, si l'expérience venant des États-Unis fournit de bonnes indications, la facture ne sera pas payée uniquement par les amateurs de sports.

Des réseaux comme ESPN versent de gigantesques sommes d'argent aux ligues sportives pour obtenir les droits de télédiffusion de leurs matchs. Il y a deux ans, la chaîne sportive a déboursé 15,2 milliards pour prolonger son entente avec la NFL jusqu'en 2021.

Aux États-Unis, la programmation sportive est l'une des principales raisons de la hausse de la facture mensuelle moyenne de la télévision par câble, qui est passée de 40 $US à 78 $US entre 2001 et 2011, selon SNL Kagan, une firme de recherche de marketing.

Bien que les augmentations des prix n'ont pas été aussi radicales au Canada, les forfaits de télévision par câble sont devenus un sujet de controverse en 2013, alors que le régulateur fédéral a exigé que les consommateurs aient plus de choix, et jonglé avec l'idée d'un modèle de «télévision à la carte» qui permettrait aux fidèles du petit écran de se départir de chaînes qu'ils ne désirent pas.

On ne sait toujours pas comment Rogers compte distribuer les matchs de hockey dont il deviendra le propriétaire, ce qui accroit les possibilités que le CRTC intervienne, selon un récent rapport de l'agence de notation financière Moody's.

Mais l'un des grands perdants de la nouvelle entente entre Rogers et la LNH est sans contredit le réseau anglais de Radio-Canada, qui diffuse des matchs de hockey depuis les débuts de la télévision au pays, en 1952.

Pendant les quatre prochaines années, Rogers permettra à CBC de présenter le même signal qui sera retransmis sur ses propres chaînes. Le hic, c'est que CBC devra diffuser les mêmes annonces publicitaires que les chaînes appartenant à Rogers - sans en empocher les revenus.

Par ailleurs, Rogers a fait savoir qu'il présentera des publicités faisant la promotion d'émissions du réseau CBC sur ses propres chaînes pendant la durée de l'accord.

La disparition de Hockey Night in Canada va vraisemblablement nuire aux finances de CBC et générer une baisse des cotes d'écoute et, du même coup, moins d'argent pour ses émissions de télé et des pertes d'emplois.

Mais de nombreux amateurs de hockey au Canada se soucient du sort qui sera réservé au volubile et controversé analyste Don Cherry.

L'ancien entraîneur en chef, qui fêtera son 80e anniversaire de naissance en février, ne semble pas prêt à quitter la scène. En novembre, il a reconnu qu'il ignorait ce qu'il adviendrait de Coach's Corner, le populaire segment dont il est la vedette.

Rogers n'a donné aucune idée de ses intentions à ce sujet.